Mesa of lost women
Genre : Bouh, la grosse araignée
Fiche technique
- 1952
- Réalisation : Herbert Tevos & Ron Ormond
Revue : Michel Pagel
Il y a des choses qu'on pourrait pardonner à ce film, mais pas sa musique. Je le dis tout de suite pour que les choses soient bien claires : la musique de ce film est la plus horripilante de toute l'histoire du cinéma. Imaginez...
Non, pas tout de suite.Bon, je reprends au début, ce qui me permet de suivre la technique de narration du film, matez la cohérence.
Alors, donc, tel notre Docteur Bis préféré s'effarant de ses lacules zombiesques, désormais comblées, je m'avisai récemment que je n'avais personnellement jamais chroniqué sur nanar un film à base de grosses araignées. Zut alors, me dis-je in petto, ça, alors, c'est une lacune. Et ça tombait bien, figurez-vous que je venais de récupérer un film à base de grosses araignées. Alors, je me dis : tiens, je vais le regarder, comme ça, ça me fera un film de grosses araignées à chroniquer sur nanar.
Ça, c'était pour vous donner une idée de la voix off qui accompagne les pérégrinations de nos héros. Affreuse. Infernale. Pas tout à fait autant que la musique, cependant, parce que la musique... mais bon.
En plus, ça me permet de combler deux lacunes en même temps, vu que le film en question, c'est un classique du nanar qui m'avait échappé jusque là. Chouette, alors.
Le rideau s'ouvre métaphoriquement sur un crétinoïde en plan américain et en noir et blanc. Une main féminine nantie de faux ongles noirs démesurés se pose sur sa gorge. Un visage féminin apparaît. Les deux personnages s'embrassent. L'homme s'effondre. "Avez-vous déjà été embrassé par une fille dans ce genre-là ?" nous demande la voix off pour sa première apparition. Et hop : générique !
MESA OF LOST WOMEN, de Herbert Tevos & Ron Ormond, 1952
Car, oui, ils s'y sont mis à deux pour tourner ça. Quand au compositeur, je ne sais pas s'ils l'ont cité au générique, mais je ne veux pas savoir comment il s'appelle. Si jamais je le croise, lui ou un de ses descendants, je ne tiens pas à avoir un meurtre sur la conscience. Parce que cette musique, nom d'un chien, je ne m'en remets toujours pas. Et elle arrive dès le début : l'instrument principal est une guitare sèche, qui se contente d'aligner de bout en bout le même plan flamenco à trois balles. Imaginez le petit neveu de huit ans d'un des Gipsy Kings, tiens. Et encore, je suis sûr qu'il se débrouille mieux et surtout qu'il joue moins longtemps ! Mais c'est pas tout, non, c'est pas tout : y a aussi un piano. Si ce film n'avait pas été tourné neuf ans avant ma naissance, je jurerais que c'est moi qui en joue, tiens. Cliiiiing, BOOOOOOM, Cliiiiiing, tiguidi, BOOOOOOOM ! Pendant que l'autre fait Tatarata tatarata tataratataratataratatarata ! Et c'est crisssssspant...
Allez, en route. Après le générique, on voit un couple marcher dans le désert (dont la "voix off" nous signale aimablement qu'il s'agit du Muerto Desert, le Désert de la Mort). Visiblement, ces gens sont épuisés et ont vécu des choses pas agréables. D'ailleurs, la voix off nous le confirme, entre deux considérations philosophico-mordmoil'noeusques : "On ne sait pourquoi ils sont venus dans le désert de la mort, mais ce qui est sûr, c'est qu'ils n'en sortiront que morts." Bien sûr, c'est à ce moment-là que les secours arrivent et que nos héros sont emmenés à l'hôpital, où ils récupèreront facilement. Quand la voix-off commence à contredire ce qu'on voit à l'écran, c'est qu'on tient une gemme, normalement. "Ben voilà, dit le héros à peine remis de ses émotions, à ses sauveurs. Moi, je m'appelle Grant Philips, et je sers de pilote au milliardaire Jan Van Kekchose, et..."
Et merde, se dit le scénariste, j'ai pas commencé par où il fallait. Je vais quand même pas tout réécrire. Bon, retour de la voix off, qui a le culot de déclarer : "Mais tu ne sais pas tout, Grant Philips, non, car l'histoire a commencé bien plus tôt, environ il y a un an..." Et paf ! flash back, mais raconté par personne en particulier, celui-là, sinon par le grand dieu voix-off. Le procédé est franchement discutable, je trouve, mais on est forcé d'admirer la désinvolture.
Alors, donc, tout a commencé le jour où un éminent biologiste, le Dr. Masterson (non, Thomas, pas Masterton), répond à l'appel de son non moins éminent collègue le Dr. Aranya qui compte faire de lui son collaborateur. Aranya a très logiquement installé son labo à l'intérieur d'une mesa inaccessible. (On nous a dit au début qu'on ne pouvait atteindre le sommet que par avion, et encore, en cassant du bois.) Euh... Et il a fait comment, pour y rentrer, Aranya ? Et son matériel, il l'a acheté sur place ? Notez que la question est de peu d'importance puisque Masterson, guidé par une femme étrange, arrive par en bas, fait trois pas à flanc de colline et trouve la porte du labo. J'adore.
Alors, donc, je vous le dis, parce que je suis sûr que vous ne vous en doutez pas du tout : Aranya est un savant fou modèle standard (joué par Jackie Coogan) dont les brillants travaux sur les insectes lui ont permis de... gna gna gna... bref, il a injecté à des tarentules la substance qui contrôle la croissance du corps humain, obtenant ainsi des araignées géantes (une, en tout cas), et injecté en retour une substance arachnide à des humains, obtenant d'une part des femelles sexy en diable jouées, j'imagine, par des danseuses exotiques, et d'autre part des mâles rachitiques joués, c'est tout à fait sûr, par des nains. Les jolies spiderwomen sont, nous dit-on, aussi fortes et aussi intelligentes que des humaines (mais apparemment pas douées de la parole. Si c'est l'idée que le scénariste se fait de la femme idéale, je lui lâche le MLF sur le dos.) et en plus, si elles perdent un bras ou une jambe, le membre repousse ! Si !
Bon, admettons. Y a juste deux trucs qui me gênent, Dr. Aranya, vous voulez savoir lesquels ? Le premier c'est qu'un éminent spécialiste des araignées s'appelle Aranya (pour les abrutis, un des personnages précisera à un moment "Ça veut dire araignée, en espagnol !" Sans blague ?). Ça handicape un peu la suspension d'incrédulité, de mon côté, voyez. Et le deuxième, qui est pire, c'est qu'un éminent spécialiste des araignées croie dur comme fer que ce sont des insectes. Oh, vous n'êtes pas le seul à nous avoir assené au fil du temps cette redoutable couennerie, mais là, je suis énervé par la musique, alors vous allez payer pour les autres. C'est vrai, on a beau ne pas être fanatique de la hard science, y a des limites. Moi, de toute façon, je n'élève que des chats : j'adore les marsupiaux.
Alors, où en étais-je ? A Masterson qui, horrifié, décline la proposition d'Aranya ("Vous usurpez le rôle du créateur !", s'exclame-t-il, vu qu'on n'en est pas à un cliché près.) et se prend illico une seringue dans le bras, avant d'être rendu au monde, complètement fou (un article de journal nous apprend qu'il a été interné). Mais il s'évade, le bougre. Et nous le retrouvons dans une taverne mexicaine, où il fait la connaissance du milliardaire Jan et de sa fiancée dont je veux bien être pendu si je me rappelle le prénom, vu qu'on l'appelle tout le temps Miss Calberson. Peu de temps après, tandis que commence à danser au son d'une musique que... bref, la même que d'habitude... une brune charmante dont nous savons pour l'avoir vue dans la scène précédente qu'elle est le résultat d'une des expériences d'Ananya et qu'elle s'appelle Tarentella (gag ? non non, premier degré, niveau comic book de base), nos trois personnages sont rejoints par George, l'infirmier chargé de Masterson, qui vient enfin de le retrouver. Juste à temps pour demeurer assis comme un con pendant que le cinglé sort un flingue et descend la jolie danseuse, avant de prendre les trois Américains et le domestique chinois du milliardiaire, Wu, en otages. Tous rejoignent l'avion de Jan, que le pilote, Philips, n'a pas encore achevé de réparer. Un moteur peut lâcher à tout moment, nous déclare-t-il. Mais comme Masterson est vraiment complètement cinglé (imaginez John Steed sous acide, à peu près), il insiste pour que tout le monde embarque et pour qu'on décolle. Vu que c'est lui qui a le flingue, tout le monde obéit. Vous noterez qu'on a réembrayé sans complexe sur le récit que Philips est censé raconter.
Devinez ce qui se passe, alors... Tous ceux qui ont dit "le moteur lâche" ont gagné.
Bon. Plus dur : Devinez où il va se crasher, l'avion...
Je vais vous dire un truc : j'ai rien contre les coïncidences, mais des comme ça, on en mettrait dans un film, le spectateur n'y croirait pas, tiens. Donc, boum ! En plein sur la mesa. Pas de bobo à l'arrivée, tout le monde va bien. Tandis que Philips fait du feu, George part faire un tour dans la forêt.
Devinez qui est le premier mort.
Bon, d'accord, j'arrête. Vous êtes trop forts.
George, donc, après avoir entraperçu quelques beautés légèrement vêtues (pour l'époque) et un ou deux nains, croise soudain le chemin d'une patte d'araignée géante. Son hurlement résonne, masquant quasiment cette putain de guitare, mais s'arrête hélas bien trop tôt. Les autres retrouvent le cadavre, dont la nuque porte deux trous gigantesques, qu'on imagine bien causés par des mandibules de tarantule géante. Echaudés, il retournent auprès de leur avion. Et là, se situe LA scène vraiment grotesque du film :
JAN : Mais chérie, où est ton peigne ?
MISS CALBERSON : Je ne sais pas, j'ai dû le perdre là-bas.
JAN : Mais il faut absolument le retrouver, c'est un trésor de famille.
MISS CALBERSON : Si tu crois que je vais retourner là-bas...
JAN : Non, mais Wu va y retourner.
PHILIPS : C'est de la folie.
WU : Le bon serviteur sert aussi dans les situations périlleuses.Et il y va ! Ça, ça n'est pas le pire : à quelques détails, on déjà cru comprendre que Wu était un fourbe vendu à Aranya, et on déduit qu'il court avec plaisir rejoindre son vrai maître. Ce qui me tue, c'est la petitesse de l'alibi. Quitte à être ridicule, autant dire que CDLS et on n'en parle plus. Pas la peine de trouver une raison à la noix comme ça.
Donc, à la surprise générale, Wu va rejoindre Aranya et lui confirme qu'il lui a emmené Masterson. Ah ? L'avion ne s'est donc pas crashé là par hasard. Si, si, mais c'était prévu quand même par Aranya. Ah ? Bon, si vous le dites.
Notre savant fou confie avoir des projets pour le pilote et pour la jeune femme mais compter se débarrasser des autres. Comme ça a l'air d'embêter Wu (on se demande bien pourquoi, vu que son patron le traite comme de la merde), il le fait tuer à son tour.Et c'est la grande attaque sur le campement : une demi-douzaine de beautés vêtues de longues jupes moultement fendues, dont les longs pans de gaze flottent allègrement autour de leurs jambes fuselées (ce qui est la tenue idéale pour se balader en forêt, n'importe quel randonneur vous le confirmera), et trois nains, courent à l'assaut des quatre infortunés et les capturent sans bagarre — sauf le milliardaire qui, grand lâche, a préféré s'enfuir et tombe sous les coups de l'araignée géante. Araignée qu'on voit alors pour la première et dernière fois en entier, et pas plus d'une demi-seconde.
Tout le monde se retrouve dans le labo d'Aranya. Alors que ce dernier n'a encore pratiquement rien dit ni rien fait, Masterson, brutalement débarrassé de sa folie, pour des raisons peu claires, se précipite vers une paillasse, vide trois tubes à essais au hasard dans une éprouvette et déclare qu'il va tout faire sauter. Encore une fois, je ne suis pas un fanatique de l'exactitude scientifique en matière de science-fiction, mais quand même... un minimum de vraisemblance me semble souhaitable. Masterson crie à Philips d'emmener Miss Calberson (je vais vous surprendre : un tendre sentiment est né entre ces deux-là), le pilote s'exécute, et dans une dernière exclamation, l'ex-fou déclare : "Leurs jambes repoussent, oui, mais rien ne résiste au feu". Et il balance son éprouvette et badaboum !
Et paf, on se retrouve à l'hosto. Philips achève de raconter son histoire et supplie qu'on envoie des gens à la mesa pour tout détruire par le feu. Les autres disent : "ça va pas, non ? On a autre chose à foutre, on y va pas." "Ah, ben d'accord, tant pis, alors". Et c'est la fin du film.
Bilan : très lourd ! Aucune cohérence narrative, idée pompée sur l'Ile du Dr. Moreau, mise en scène du niveau d'Ed Wood (comme dirait Mélanie, c'est pas si mal, hein ?), et acteurs fond du panier, avec une mention spéciale pour le gars qui joue Masterson et qui en fait des tonnes sans jamais être vraiment convaincant. La seule qui s'en tire à peu près, c'est la jolie Tandra Quinn, qui joue Tarentelle, sans doute parce qu'elle n'a pas une seule ligne de dialogue. Sa "danse de l'araignée" ne fait pas oublier Cid Charisse, mais elle réussit quand même à ne pas être ridicule. Si seulement, il n'y avait pas cette saleté de musique derrière, ça serait presque sympa.
Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais quand on voit un chef d'oeuvre légendaire, on est souvent déçu. Avec un nanar, non. Celui-là fait en tous points honneur à sa réputation.
Hein ? J'avais dit que c'était à base de grosses araignées ? Oui, ben, on en voit vaguement une, quoi, c'est la même chose.
Vous croyez que la B.O. existe en CD ?