House of Dracula

Genre : cocktel de monstres

Fiche technique

Revue : Marc Madouraud

L'action se passe dans un village germanique, et plus précisément dans le château qu'habite le bon docteur Edelman. La nuit a enveloppé les lieux de son manteau de ténèbres (pouet pouet). Le docteur, après des heures d'un travail que l'on suppose harrassant, s'est endormi dans son fauteuil devant la cheminée et son feu crépitant. Dehors, une grosse chauve-souris, voletant (bon, assez maladroitement, certes) avec grâce, observe à travers l'une des fenêtres de l'étage une jeune femme blonde en train de dormir, puis gagne la salle où est assoupi le docteur. Elle se transforme alors en un homme mince et élégant, vêtu d'une cape et d'un ridicule haut de forme (il faudra m'expliquer un jour ceci : je veux bien, à la rigueur, qu'une chauve-souris se change en homme, mais d'où sort-elle alors ses habits ? Elle n'a même pas de sac de voyage !)

Réveillé par la mystérieuse présence, Edelman se réveille et s'insurge contre cette intrusion. L'inconnu se présente comme étant le Baron Latos et s'excuse de sa venue tardive, prétextant un long voyage. Il requiert aussitôt l'aide du docteur et lui demande de l'accompagner jusqu'à sa cave. A la place du toubib, j'aurais hésité, mais, non, notre brave héros le suit, et reçoit une petite leçon - sans application pratique, heureusement - sur le vampirisme. Arrivés dans la cave, Latos montre un cercueil, qu'il a lui-même apporté, à Edelman, provoquant encore une fois l'indignation de celui-ci (du genre : « pendant que t'y est, amène tes meufs, on fera une partouze ! »), puis lui explique qu'il n'est autre que... le comte Dracula en personne ! Il a absolument besoin du médecin car il veut être guéri de sa malédiction (hypocrisie ou voeu pieux - voire pieu -, comme on le verra).

Edelmann fait donc quelques examens sur le sang du comte, et découvre qu'il est infecté par un parasite inconnu. Inventant presque sur le champ un traitement (doué, le gars), ll lui demande alors de revenir tous les deux jours, ou plutôt tous les deux soirs, pour des transfusions. Le spectateur en profite pour faire la connaissance de ses deux infirmières : Miliza, belle et grande blonde, et Nina, une brune qui serait tout aussi jolie si elle n'était affligée d'une aussi énorme bosse (dans le dos, évidemment, confondez pas). Pendant que son patron transfuse le comte (nous ignorons s'il se sert de sang bleu, lequel devrait être indispensable pour un aussi noble patient), un homme pour le moins énervé demande à voir d'urgence le docteur. Il s'appelle Lawrence Talbot et arbore un air de chien battu - ou plus précisément de loup-garou battu, comme nous nous en doutons. Comme on ne peut le recevoir, excédé, il s'enfuit dans la nuit.

Un peu plus tard, le chef de la police locale vient chercher le docteur, à propos d'un fou qui a voulu se faire enfermer dans une des cellules de la prison. Sur place, Miliza et son chef découvrent qu'il s'agit de Larry Talbot, qui en profite pour réclamer une aide médicale d'urgence (on le comprend) car la pleine lune approche... Edelman, sceptique, tente de le rassurer en lui affirmant que son cas relève de la psychiatrie, quand Larry se change soudain en loup humain et commence à vouloir arracher la grille de sa cellule, avant de s'évanouir (petite nature !) Convaincu, le docteur demande au policier de l'emmener le lendemain à son château.

Le matin suivant, Talbot est examiné sous toutes les coutures et Edelman découvre que sa lycanthropie provient d'une déformation du crâne compressant le cerveau et agissant sur les glandes. L'opération est impossible, mais il met tout son espoir dans une de ses trouvailles : une spore, générée par une plante qu'il cultive, et qui a le pouvoir ramollir certaines matières, dont les os (et accessoirement la cervelle du scénariste). Seulement, il faut du temps pour récolter assez de spores et Larry est pressé, car la nuit suivante la lune est encore pleine. Aussi, désespéré, il se rue à travers le parc du château et se jette par dessus la rembarde qui donne sur la mer, du haut d'une petite falaise.

Toutefois, le docteur et ses deux assistantes gardent un espoir : le bas de la falaise est truffé de grottes, et le corps a fort bien pu y être rejeté. Effectivement, le soir (pourquoi le soir ? histoire de marée ?), Edelman descend le long d'une corde pour explorer les grottes affleurant la mer. Dès la première grotte, il tombe nez à mufle avec le loup-garou qui y est terré (un Larry cantonné, donc), lequel se jette aussitôt sur lui (on ne le dira jamais assez, les lycanthropes c'est pire que les pitbulls, il faudrait une loi pour qu'ils gardent en permanence une muselière ; faudrait peut-être les castrer aussi, tant qu'à faire). Au moment où il étrangle sa victime, le soleil apparaît (enfin, on le suppose, car cela se passe dans une caverne) et Larry redevient humain. Quand le docteur est remis d'aplomb, tous deux commencent à explorer la grotte... et découvrent un squelette et un gigantesque corps intact ! Le tas d'os appartient au Dr. Niemann (rôle de Boris Karloff dans "House of Frankenstein") et la grande carcasse n'est autre que celle du monstre de Frankenstein, vivant mais plongé en catalepsie !

Le corps du monstre est ramené dans le laboratoire et le docteur l'installe sur la table d'opération. Toute une machinerie à la Kenneth Strickfaden est installée, prête à faire revivre la créature, mais Nina et Larry insistent pour que l'oeuvre de Frankenstein ne soit pas poursuivie, puisqu'elle n'apporte que malheurs et destruction. Le docteur se fait une raison et retourne à ses expériences sur les spores. Par leur degré d'humidité et leur température, les grottes qu'ont visitées Larry et Edelman sont parfaites pour la culture sur une grande échelle des plantes, aussi la petite équipe se lance-t-elle à corps perdu la production de spores. Il propose à Nina de lui opérer sa bosse, mais la jeune fille, généreuse, plaide le cas de Larry. Une décoction des fameuses spores lui sera appliquée sur la tête - je suppose que l'on peut appeler cela des « spores-tifs », non ? Le grand gaillard est opéré, avec succès semble-t-il, puisque sa première apparition devant la pleine lune suivante ne détermine pas son habituelle éruption de poils, dents et griffes tous azimuts. Le loup y est-y ? Non, il n'y est plus. La blonde Miliza ne semble d'ailleurs pas insensible au charme du loup-garou une fois celui-ci épilé et édenté (c'est vrai, la fourrure, ça gratte, et ça risque de faire velcro dans certaines positions).

Larry peut alors entamer sa convalescence. Mais un autre séducteur lorgne sur la belle blonde : le comte Dracula en personne. Tout en venant prendre ses transfusions périodiques ("transfuser un p'tit coup, c'est agréaaaableuh !"), il hypnotise Miliza dans le but de lui faire rejoindre le royaume des ténèbres - là, le scénario en prend un sale coup : pourquoi veut-il la transformer en vampire s'il aspire (c'est le cas de le dire) à sa propre guérison ? Toujours est-il qu'il donne rendez-vous à la jeune femme dans le parc et s'apprête à la mordre (plutôt mollasson, ce Dracula, je le sais bien). Nina, qui a surpris son manège, avertit le docteur qui les rejoint aussitôt et, prétextant une découverte dans son traitement, propose au comte une nouvelle transfusion. Le spectateur suppose alors que Edelman veut lui jouer un sale tour (au vampire, pas à lui) en lui injectant quelque saloperie sanguine. Mais, au cours de l'opération, alors que le docteur - donneur en l'occasion - est dans les vapes (ah ? pourquoi ça ?), le comte hypnotise Nina et s'amuse à inverser le cours de la transfusion, donnant un peu de son sang à son receveur involontaire. Puis il va chercher Miliza...

Heureusement, Edelman retrouve vite ses esprits et va jusqu'à la fenêtre de Miliza (tiens, il me semblait que c'était à l'étage, mais, bon...) armé d'un crucifix, tandis que Larry surgit par la porte. Sous la menace de la croix, et de l'aube qui pointe, Dracula, n'écoutant que son courage qui était visiblement resté en Transylvanie, fuit et se réfugie dans la cave, plus précisément dans l'abri douillet de son cercueil. Edelman, qui l'a suivi, et qui n'est pas la moitié d'une buse, a l'idée de déplacer le cercueil en face d'un soupirail qui laisse pénétrer la lumière et d'en ouvrir le couvercle. Aussitôt, l'infortuné vampire est réduit en poussière. Exit Dracula...

Tout est pour le mieux ? Non, car, une fois rentré dans son appartement, Edelman est victime d'une crise, provoquée par le sang draculesque dans ses veines. Ses cheveux deviennent hirsutes, ses yeux exorbités et son visage arbore un rictus sinistre. Son chat, d'ailleurs, sent la transformation, car il crache contre lui comme il l'avait fait à l'apparition initiale du comte. Le docteur est en proie à des visions démentes, où il s'imagine notamment ressusciter la créature de Frankenstein et la lancer sur ses pauvres contemporains. Au bout d'un moment, il redevient lui-même... A la crise suivante, il monte dans la carriole d'un villageois et, l'accusant de vouloir le trahir, l'étrangle. Mais la charrette, qui est toujours emmenée par le cheval, pénètre dans le village et verse au beau milieu de la place (décidément, ce criminel-là est encore excessivement peu doué). Edelman n'a que le temps de s'enfuir, pourchassé par les autochtones en furie, et réussit à leur échapper.

Le chef de la police, mis en présence du cadavre, pense tout de suite à Larry Talbot. Pourtant, une fois au château, il se persuade vite que Talbot, convalescent et bien entouré, n'a pu commettre le meurtre. La troisième crise de folie d'Edelman le pousse enfin à vouloir ressusciter le monstre. Alors qu'il s'est enfermé dans le laboratoire, Nina frappe à la porte pour lui apporter à manger, il finit par ouvrir et se met en devoir de l'étrangler. Au même moment, le policier arrive au château, car il a retrouvé dans la main du cadavre une plaque prouvant la culpabilité d'Edelman. Entendant les cris de Nina, tous se ruent dans le laboratoire. Le regard fou, le docteur s'avance vers Larry, qui l'abat d'une balle de revolver. Mais le monstre, enfin ressuscité (il a mis le temps), se lève de sa table et attaque, de sa gracieuse démarche habituelle. En voulant atteindre Larry, tout un tas d'éprouvettes et de cornues tombent, mettant le feu au laboratoire. Tout le monde s'empresse de fuir, laissant la créature en proie aux flammes et aux poutres qui lui dégringolent sur le coin de la physionomie...

Pauvre docteur Edelmann ! A terme, il aurait pu créer une nouvelle spécialité médicale : la guérison des monstres en tous genres, une application purement curative de la tératologie. On imagine sa plaque : « Docteur Edelmann, diplômé en tératopédie de l'Université de Transylvanie. Traitement de toute monstruosité. Epilations de fourrures, extraction de canines trop longues, rognages de griffes, suppression de bosses, effacement scientifique de malédiction, greffe de cervelle aux scénaristes hollywoodiens, résurrection de créatures. Guérison de tout cas de vampirisme et de lycanthropie. Discrétion et réussite assurées. Rendez-vous de minuit à quatre heures du matin. »

Une chose est sûre : en peu de temps (67 minutes), il se passe pas mal de choses et le spectateur n'a pas le temps de s'ennuyer. De la même façon que pour "House of Frankenstein", le réalisateur Erle C. Kenton et son équipe ont voulu réunir trois grands monstres classiques de l'épouvante, qui avaient fait les beaux jours d'Universal dans les années 30. S'il n'y a pas la momie, on retrouve par contre un ersatz du Docteur Jekyll et de Mister Hyde, qui occupe ici le double rôle du bon savant et du monstre sanguinaire.

Une partie des responsabilités repose sur les épaules des acteurs, et le bât commence alors à blesser là. Lon Chaney Jr, solide et tourmenté, est égal à lui-même, c'est-à-dire à pas grand chose. Le Dracula de John Carradine ressemble étonnament, jusqu'à la moustache grise, au modèle décrit par Bram Stoker, mais le pauvre John manque cruellement de présence physique et, pour tout dire, de charisme ; son vampire n'impressionne personne, sinon les blondinettes, et fait preuve de ridicule comme d'inconséquence lorsqu'il court vers son cercueil et corollairement vers sa perte - un comte à découvert, en quelque sorte. Il vaut mieux oublier la « prestation » de Glenn Strange, que l'on n'aperçoit quasiment pas, et qui nous offre juste quelques pas lourdauds à la fin, en sus de son masque peu expressif (une Strange de cake, me direz-vous) ; un mannequin de cire aurait aussi bien fait l'affaire (d'autant qu'il ne bénéficie d'aucun gros plan). Quant à Lionel Atwill, son personnage reste très secondaire.

En fait, la meilleure interprétation revient à Onslow Stevens, totalement oublié aujourd'hui et qui ne fut, d'ailleurs, jamais une star. On retrouve son nom au générique de quelques films SF et fantastiques, tels "The Vanishing Shadow" (1934), "Life Returns" (1935), "The Monster and the Girl" (1941), "The Creeper" (1948), "Des monstres attaquent la ville" (1954), etc. Artificiellement vieilli pour son double rôle, il est correct en docteur Edelman et fort convaincant en fou maléfique. Son travail est méritoire, car il prenait la succession de Boris Karloff en personne, qui avait joué le rôle du savant dans le long-métrage précédent, "House of Frankenstein".

Le scénario ? Il fait ce qu'il peut pour concilier la présence de trois monstres sacrés (au sens littéral du terme). La vampire et le loup-garou sont assez bien traités, même si la fin de Dracula frise le grotesque et si son comportement apparaît incohérent : pourquoi réclame-t-il une guérison s'il continue à vouloir faire des disciples (n'arrive-t-il pas à décrocher ?) Le pauvre lycanthrope semble quant à lui débarrassé de sa malédiction, mais cette libération est illusoire, puisqu'on le retrouvera encore en poils et en canines, ne serait-ce que dans la comédie avec Abbott et Costello. Comme nous l'avons dit, la créature de Frankenstein est affreusement sous employée, et ne se réveille que pour se prendre le plafond en flammes sur la cafetière. Par ailleurs, on pourra gloser à l'infini sur les raisons qui ont poussé Talbot et Dracula à venir voir Edelman, et ce en même temps, situation corsée par la trouvaille du monstre, mais ne creusons pas trop loin pour déterrer les invraisemblances. Disons que l'intrigue, sommaire, remplit correctement son office pour caser tous ces éléments en un peu plus d'une heure.

Certes, le résultat fait très « série B » face aux films originaux de Browning ou Whale, voire un tantinet nanardisant. Il n'en est que plus sympathique. "House of Dracula" ne cherche pas réellement à faire peur (ou alors il y échoue sur les grandes largeurs) mais joue sur le registre de la complicité avec son spectateur.

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