La Papesse

Genre : witch cinéma !

Fiche technique

Revue : Jean-Pierre Fontana, en 1975

WITCH ClNEMA - LA PAPESSE

En guise de consolation, Mario MERCIER pourra se souvenir que Jehanne la Pucelle fut brûlée vive à Rouen puisque aussi bien Géziale la Papesse connaît à ce jour un verdict moins fatal. Après les holocaustes et les autodafés, l’interdiction, qui a pris rang parmi les méthodes de la répression moderne, est moins définitive. Coupable de lèse-religion, "La Papesse" pourra donc remercier notre époque d’une certaine mansuétude à son égard qui lui évite la destruction pure et simple. Mieux, grâce à ce procédé, les quelques trois kilomètres de pellicule format 35 mm pourront désormais s’enorgueillir de figurer sur la liste noire des bréviaires du satanisme dûment répertorié comme anti-religion d’Etat. Ainsi va le monde, de croyances en apostasies, de libertés en tabous, d’excès en indulgences. Tandis que le sexe envahit les revues, s’installe sur les écrans, préoccupe les écoles comme les pharmacies, on chasse le sein sur les plages méridionales. Alors qu’un phénomène de sectes explose ici ou là et surtout aux U.S.A., que la démonologie retrouve de nouveaux spécialistes, que L’Exorciste pulvérise les recettes de "Autant en emporte le vent" un outre souffle dépose "La Papesse" au cachot noir de l’oubli. Pour combien de temps ? "Le Cuirassé Potemkine" a eu près de trente ans cet insigne privilège. Certain roman de Boris Vian vient, semble-t-il, d’en sortir, avec "Histoire d'O". Le "Justine" de Claude Pierson a connu un assez court purgatoire. "La Papesse", aura peut-être la chance de séjourner moins longtemps qu'Orphée aux enfers.

Le fait n’a cependant rien en soi qui puisse surprendre. Projeté devant un public restreint à Clermont-Ferrand, puis à l’occasion de la Convention de Science-Fiction d’Angoulême, "La Papesse" devait soulever protestation ou indignation. Film choquant, film avilissant, film indigne, il avait tout pour déplaire au spectateur moyen dont le conformisme n'est plus à démontrer. Partant, la réaction de la commission de censure devenait hautement prévisible. Pour accepter "La Papesse", il était nécessaire en effet de la dépasser et d’en analyser composantes et motivations. Une telle démarche n’est pas le fort du public qu’un jeu d’acteurs assez pauvre n’allait certes pas bien disposer. Le tort de Mario Mercier, comme de tout artiste, fut d'oublier l’indigence des masses, sa superficialité et son égocentrisme. Le succès des films "karaté", des "nudies" et autres "jamesbonderies" donne la mesure de ceux auquel tout réalisateur s’adresse. Au royaume des aveugles, la Joconde elle-même ne vaut pas mieux qu’une feuille de papier carbone.

J’ai aimé "La Papesse".

Que l’on ne se méprenne cependant pas, eu égard à ce qui précède. Je ne me range pas parmi les privilégiés de la race humaine, les beaux, les intelligents, les clairvoyants, les supermen. J’ai aimé "La Papesse" pour certaines raisons que je vais m’efforcer d’expliciter. Il y a peut-être bien de ma part de l’indulgence ou une certaine ouverture d’esprit que j’appellerai tolérance, à moins que ma curiosité ne m’entraîne naturellement à pousser des portes simplement entr’ouvertes. En tous cas, je féliciterai d’abord Mario Mercier d’avoir osé sortir des sentiers battus par un cinéma français inexistant à force de se recopier lui-même et, surtout, d’avoir démontré qu’un cinéma fantastique national pourrait ne pas être utopique.

Responsable d’une "Goulve" qui, pour un coup d’essai, ne fut pas un coup de maître, Mercier n’avait au fond que deux atouts pour réussir "La Papesse". Le premier, important, tenait dans le succès relatif du précédent, lui assurant un minimum plus que vital de finance. Le second, capital, consistait à un retour à la sincérité, objet essentiel de la qualité indéniable d’un 16 mm non distribué intitulé "Les dieux en colère". Inconsciemment peut-être, notre peintre-écrivain-scénariste-réalisateur a su jouer ces deux cartes. C’est dire, déjà, que "La Papesse" a la couleur des toiles bien léchées et la profondeur des fantasmes. Contre cela, le jeu incertain des acteurs, les faiblesses de la mise en scène ou du montage et quelques facilités ne peuvent que rendre plus sympathique encore un film respirant toujours l’amateurisme, mais cette fois dans le meilleur sens du terme.

Mario Mercier a lancé le mot de "witch-cinéma". Je ne sais pas s’il innove en la matière. Peu connaisseur en sciences occultes, je ne puis toutefois rayer d’un seul trait nombre d’antécédents allant de "La sorcellerie à travers les âges" à "Rosemary’s baby", en passant par "Les vierges de Satan", "Le démon dans la chair" et autres "Satan mon amour". Qu’il s’entoure de spécialistes comme Claude Deplace ou qu’il s’efforce à une reconstitution méticuleuse de rites de magie noire (les décors sont signés Maïté Mercier) mérite certes les compliments du "démonologue averti" que je ne suis pas. Le cinéphile, pour sa part, s’attachera plutôt au spectacle en lui-même. De mon anonyme fauteuil, j’ai ressenti surtout un climat jamais apprécié auparavant et qui m’a fait dire que, pour une fois, le phénomène-sorcier était ici perçu de l’intérieur. C’est toute la différence avec les œuvres qui l’ont précédé. C’est pour cela que ce film trouble, gêne, provoque le malaise exprimé par une réaction d’autodéfense des spectateurs à la conclusion du propos. C’est sans doute aussi pour cette raison que le couperet des censeurs est tombé. Avec "La sorcellerie à travers les âges" (longtemps invisible, d’ailleurs), le recul du temps autorise une sorte d’admiration conditionnée par les allures de documentaire que revêt le film de Benjamin Christensen. Par ailleurs, le vieillissement amène le haussement d’épaules au défilement de certains ébats, le sourire à l’évocation de certaines cérémonies. Voir "La sorcellerie à travers les âges", c’est un peu comme feuilleter un vieil ouvrage jauni avec condescendance. Avec "Les vierges de Satan" - comme pour toute œuvre du style Hammer - le bien triomphe forcément du mal, c’est à dire que la religion du Christ (nom rarement cité) vient à bout du culte voué à Satan (répété de nombreuses fois et généralement "synonymisé" avec les Belzebuth, Bélial, Asmodée, Lucifer et autres suppôts des ténèbres infernales.) "La Papesse" ne condescend pas à de telles pratiques. Actualisée par Mercier et d’actualité si l’on suit d’un peu près les entrefilets des journaux, "La Papesse" ne pouvait donc qu’encourir le courroux des juges et du public. Voyons un peu : un couple tombé sous l’emprise d’une secte n’en pourra réchapper et connaîtra la mort sous la forme de laquelle je reviendrai. Depuis le bon Jean de La Fontaine, toute fable tirait à morale. Celle de Mercier, plus proche du "Loup et l’Agneau", semble issue de quelque "Prospérité du Vice" rarement en usage au cinéma, sinon dans un "Grand Silence" de l’ouest-spaghetti qui hérissa plus d’un spectateur. Dès lors que le Mal devient plus fort que le Bien, notre société bien pensante s’insurge, même si la réalité quotidienne démontre qu’elle a tort. A moins que... A moins que, et ce sera ma version, l’on considère que le Bien et le Mal sont des critères variables selon les types de société. Dès lors, ce film peut être considéré comme la relation de l’opposition de notre monde avec un autre. Le couple en cause ne parvenant pas à se situer franchement dans l’un ou l’autre camp est donc irrémédiablement détruit, comme pris entre marteau et enclume.

Ce qui oppose la secte de "La Papesse" à notre univers moderne ? En premier lieu, un matriarcat qui confère à une femme le pouvoir absolu. Peut-être aussi une misandrie sous-jacente révélée entre autre par le rôle que tient Iltra, l’initiatrice (rôle tenu par Erika Maaz). L’homme n’occupe donc pas le beau rôle. Il est serviteur - dévoué jusqu’au crime - comme Borg (Mathias Von Huppert). Il est le partenaire occasionnel - au cours des sabbats par exemple - de la femme-sexe-mère. Il est surtout celui dont la démence assure la postérité, voire l’immortalité , autrement dit un étalon. Cette optique est courageuse. Elle est probablement la première pierre d’achoppement de la bonne conscience de chacun et des censeurs en particulier.

Seconde opposition : le sexe, à cause d’un apparent paradoxe. Car Mercier fait un peu le procès de notre "libéralisme" en cette matière. A l’heure où le cinéma coquin flatte les bas instincts sans oser pour autant dresser une nouvelle philosophie d’un comportement qui s’appuierait sur une plus grande liberté en ce domaine, Mercier nous montre un système dont le sexe constitue à la fois le moteur et l’épicentre. Tout gravite dans cette secte à un niveau qu’il faut bien situer un peu moins haut que le nombril. A la moindre occasion, les habits de cérémonies tombent pour autoriser les attouchements. La destruction du couple-victime passe par le viol. Toute épreuve d’initiation est une parodie du jeu de l’amour et de la mort, tel ce combat qui opposera Bord - myrmidon en rut - et Aline - rétiaire victime - sous les yeux d’un groupe de voyeurs de la secte et de Laurent, le mari, aux sentiments contradictoires.

Mais si le coït remplace ici le meurtre, ce n’est rien qu’apparence. Laurent (alias Jean-François Delacour) n’aurait pas dû s’y tromper qui paiera de sa vie, plus tard, ce manque de clairvoyance.

Pour en revenir à la vision quelque peu sadienne de ce monde en marge, la libération sexuelle, au lieu de la transcender, a ramené l’homme au rang de l’animal. Désormais, l’assimilation sera claire. Coupable de rébellion, Aline (Lisa Livane) se verra traitée à l’instar d’une truie, à savoir de la plus abominable manière, enchaînée qu’elle sera à la mangeoire d’une soue avant d’être marquée au fer. Géziale la Papesse, elle-même, se comparera à une chienne lorsqu’elle s’abaissera à épouser Laurent. Et si le démon n’est plus présent ici comme autrefois, sous l’apparence de quelque bouc, les sabbats donnent aux mâles l’illusion d’être, l’espace d’une nuit de pleine lune, l’incarnation de quelque créature inférieure. Et cet aspect n’est pas l’un des moindres moyens de s’attirer les antipathies du public. On ne badine pas avec l’amour et la nature humaine au point de glorifier un dérèglement de cet ordre. Le sexe pour faire joujou derrière les volets clos, d’accord ! mais à condition que chacun reprenne ensuite son masque de parfait citoyen. Mercier, qui a libéré ici les fantasmes nés de nos interdits, a sans doute fait preuve d’audace mais cela lui a coûté railleries et quolibets et l’interdiction pure et simple d’exploitation.

Mais c’est peut-être plus encore au niveau des allusions ou dans ses moindres détails que ce film - ou son scénario - mérite l’intérêt. S’appuyant sur une trame fort simple et linéaire, Mercier a enrichi son propos de notations qui lui confèrent une sorte d’authenticité. Il admet s’âtre appuyé sur un cas remontant au XIème ou XIIème siècle. En fait, la note historique, remise au goût du jour par une sorte "d’intemporalisation" du film, comporte nombre de points qui doivent sûrement beaucoup plus à l’imagination du scénariste qu’à la chronique qu’il a pu relever.

C’est d’abord la torture infligée à Laurent au cours de son initiation et ressentie par son épouse, souffrance et terreur qui plieront sa volonté au point de l’amener à rejoindre enfin une secte envers laquelle elle n’éprouve que de la répulsion. C’est ensuite le viol d’Aline par des entités démoniaques dans la grotte où elle a cru bon de se réfugier pour échapper à Borg. Ce sont aussi les morts de Laurent et Aline, curieusement triples et en parfaite harmonie avec les rites initiatiques. Mort symbolique par exemple, qui entraîne Aline dans la folie et que Laurent connaîtra avec l’épreuve des poisons. Mort coïtale ensuite qui pourrait être pour Aline son accouplement avec les démons ou le viol nécrophilique de Borg et, pour Laurent, ses noces avec Géziale. Egorgement enfin provoqué par les crocs du chien de Borg en ce qui concerne la jeune femme et les griffes d’acier de la Papesse pour son imprudent mari. C’est que, s’il est nécessaire de subir certaines épreuves pour adhérer à la secte, il est tout aussi indispensable d’en franchir de nouvelles pour la quitter, même si l’issue, décidée par avance, en est la mort. Il est aussi intéressant de noter l’identification entre amour et mort déjà avancée par les psychanalystes et que Mercier explicite en faisant de Géziale une femme-insecte, femme-araignée ou mante religieuse, prompte à achever le mâle durant la noce, à l’instant même de l’orgasme, alors que les forces le quittent pour se répandre en elle.

On devine donc, à travers ces nombreuses notations, ce qui a pu hérisser le spectateur de "La Papesse", véritable anthologie des fantasmes, répertoire des névroses, hymne sans concession au défoulement des instincts meurtriers. Comparativement, les sabbats des films antérieurs prennent figure d’images d’Epinal ou de naïve représentation folklorique au sens définitivement perdu.

Courageux au point de constituer un refus flagrant de notre société judéo-chrétienne (et donc de ses structures, de ses lois, de ses interdits, cause de nos fantasmes), sincère jusqu’à l’outrance, destructeur, ce film de sorcellerie, tout imparfait qu’il puisse apparaître, constitue donc une œuvre tout aussi indispensable que le furent les écrits les plus torturés du Marquis de Sade, d’Apollinaire ou de Pauline Réage. Le prétexte du « witch cinéma » ne parvient pas à cacher une démarche consistant à mettre en exergue ce qui se dissimule dans les abîmes du sub-conscient. Pour y être parvenu, le cinéaste, après avoir subi les quolibets d’une poignée de spectateurs, a fait connaissance avec les tracas de la censure, puis de la distribution, nous fournissant ainsi une nouvelle preuve que certaines vérités ne sont pas bonnes à dire car l’âme humaine n’est rien d’autre que l’image que chacun peut se faire de son propre enfer.

Retour à la page BIS