Le baiser du Diable
Genre : zombie de chateau
Fiche technique
- alias "La Perversa caricia de Satán", 1975
- Réalisation, scénario : Georges Gigo
- Espagne / France. 80 minutes.
- Avec Silvia Solar (Claire Grandier), Olivier Mathot (Prof. Romain Gruber), José Nieto (Duc de Haussemont), Evelyne Scott (Loretta), Daniel Martín (Richard), María Silva (Susan), Carlos Otero (Joseph), Víctor Israel (Baron de Clauchart), José Lifante (Charles), Ronnie Harp (le nain), Richard Kolin (Commissaire Forest), Jack Rocha (le zombie pas frais), Antonio Castillo del Castillo (juge), Wendy Asher (Laura), Juan Miguel Solano (Jean), Mara Vador (Betty), Lyndren Fields (premier mannequin), Mara Crespo (second mannequin), Sergio Doré (Doctor), etc.
Revue : Marc Madouraud
Avant de s'attaquer au vif du sujet, faisons leur sort aux titres, aussi débiles que d'habitude : en ce qui concerne l'intitulé français, le Diable n'apparaît jamais, aussi aurait-il du mal à distribuer le moindre petit bisou ; quant à son homologue espagnol (au titre, pas au diable), rappelons encore qu'il n'y a pas Satan, donc pas de caresses perverses (quelqu'un pourrait nous expliquer en quoi ça consiste, ça m'intéresse ?) non plus. Pas grave. Passons aux choses (pas) sérieuses...
Tout commence la nuit, alors que le duc de Haussecourt (eh oui, essuyez vos pieds et ne vous mouchez pas dans les rideaux, dans ce film on va frayer avec l'artistocratie) donne une réception dans son magnifique château - un bâtiment Renaissance dominé par une énorme tour ayant exactement la forme de celles du jeu d'échecs. Un couple descend d'une Rolls. L'homme (Olivier Mathot) est un quinquagénaire portant beau mais au visage fatigué (normal, on apprendra plus tard qu'il est cardiaque). La femme (Sylvia Solar) est une belle brune ayant anticipé le look sulfureux d'Elvira, et évoque donc Cher habillée gothique. Les deux se présentent au vieux duc : elle s'appelle Claire Garnier, fut comtesse, mais son mari se suicida (on verra à deux ou trois reprises la scène du suicide et de sa découverte, en flashback d'un joli bleuté), la laissant désargentée, et elle gagne sa vie désormais comme médium ; visiblement, elle en veut à la noblesse française - particulièrement au duc et à son défunt frère - de n'avoir pas aidé son époux, et d'avoir même profité de son malheur. L'homme qui l'accompagne est un savant, Romain Gruber, spécialisé dans la télépathie et dans la régénation des cellules (deux sujets qui, comme chacun sait, sont intimement liés). Les deux étudient les manifestations surnaturelles sur le double plan spirite et scientifique. Le duc a organisé sa réception autour d'un défilé de mode (sur de la musique pop, bien sûr), mais entend, après ces festivités, réaliser une « séance », grâce aux dons de Claire (oui, Claire n'a pas seulement un genou, comme le laissait entendre le sournois Eric Rohmer), pour tenter d'entrer en contact avec son frère défunt (dans le cas contraire, le téléphone aurait suffi). Pendant que les mannequins défilent sous les regards blasés ou égrillards des invités, Charles, un inquiétant domestique (José Lifante, le zombie le plus lugubre de "Living Dead at the Manchester Morgue") essaie d'abuser d'un des modèles qui se déshabillait, mais sa tentative avorte (ce que n'aura pas besoin de faire la demoiselle quelques mois plus tard, puisque vu la gueule du mec il aurait mieux valu ne pas laisser vivre le bébé).
Puis commence la séance de spiritisme. Claire déclare être entré en contact avec le frangin, mais les spectateurs ne voient rien - tout au plus éprouvent-ils un étrange frisson, et on a droit à l'éternelle panne de courant. Par contre, un autre modèle, dans une pièce du château (j'ignorais que les châteaux grouillaient de superbes mannequins dans tous les coins, j'aurais plutôt misé sur des rats ou des cafards), se retrouve dans l'obscurité et crie à cause d'une présence près d'elle (p'tet Charles qui voulait s'en farcir une autre), et s'évanouit dans la grande tradition. Cette scène, inoffensive pour la belle, prouve toutefois au duc (crédule et plutôt désireux de se laisser convaincre) l'efficacité du couple de spirites. Il leur propose de les héberger au château et de financer leurs travaux.
Gruber et Claire décident d'installer leur laboratoire dans la cave. Pendant que Gruber part quelques temps pour récupérer son matériel, Claire se délasse en faisant du cheval dans les environs. Elle y rencontre un nain hirsute (une version réduite de Roger Daltrey) pourchassé par les autochtones qui veulent le réduire... (euh, ce n'est peut-être pas le terme adéquat), enfin l'attraper et le lyncher. Elle le ramène au château et le cache, comptant en faire son aide pour les expériences à venir (on a toujours besoin d'un plus petit que soi, c'est connu). Gruber revient, et le laboratoire est enfin installé (plutôt rudimentaire, car le budget n'est pas extensible, faut pas déconner quand même).
Un matin, le duo assiste à l'enterrement, à moitié broyé suite à un accident. C'est ce que tous deux attendaient. La nuit, ils viennent dans le cimetière, avec l'aide du nain, pour déterrer le cadavre et l'amener dans le laboratoire. Gruber se met aussitôt au travail. Il recoud notamment les chairs explosées (le résultat n'a rien de séduisant) puis commence à injecter dans le corps son fameux produit régénérateur qui consiste en une solution de « micro-organismes » (lesquels, on en sait rien, mais le terme a un je ne sais quoi qui évoque un bouillon de culture cradingue et grouillant à donner la chair de poule). Pourtant, pour que son cobaye ressuscite, il a besoin qu'une étincelle de vie anime le cadavre - car les micro-organismes, les pauvres bêtes, ne peuvent pas faire tout le boulot. Il compte pour cela sur Claire, qui va invoquer un quelconque démon secondaire (vous savez, le genre de démon qui traîne en enfer et est employé comme serviteur). La brune incendiaire commence alors ses incantations, faisant appel à Astarté et à Astarov. J'ignore à quel poste ils jouent, ceux-là ! Je ne connais pas le premier nommé, mais le second doit être russe, avec un nom pareil. Bof, de toute façon, on ne va pas se mettre à apprendre les patronymes des remplaçants. Notons également qu'une poule est sacrifiée, comme dans tout bon rituel qui se respecte (on peut la remplacer par une dinde aux marrons ou un canard de barbarie, mais je ne le conseille pas, le résultat n'est pas aussi probant).
Et là... Miracle ! La barbaque pas fraîche et toute recousue revient à la vie. Enfin, la vie... Disons qu'il a l'air aussi éveillé que Tor Johnson un lendemain de cuite à l'aquavit, avec la même coupe de cheveux mais en beaucoup moins gras du bide. Et un joli teint gris-bleuâtre, propre à attirer toute bonne mouche gastronome. Gruber, en se posant les mains sur les tempes (z'avez remarqué que les télépathes posent toujours les doigts sur leur tempes pour se concentrer ? Ce qui me conduit à penser qu'un manchot serait dans l'impossibilité de lire les pensées) le contrôle à force de concentration et lui fait faire quelques mouvements. Oh, rien de bien compliqué, ni danse exotique, ni katas. Les parents se félicitent de la force impressionnante du nouveau-né, mais le père déplore le fait que le cerveau soit aussi endommagé (ce à quoi la mère a la décence de ne pas répliquer : « c'est pas grave, on en fera un gendarme »). Aussi, lorsque Gruber relâche son emprise mentale, le zombie semble avoir la fâcheuse manie de se précipiter sur le premier être vivant venu pour lui serrer le kiki. Marotte qui dénote son manque de sociabilité et qui sera d'une grande importance par la suite. Heureusement, le savant reprend son contrôle et le zomzombie à sa mémère fait coucouche-cercueil.
Si Gruber a réussi son pari, Claire, elle, tient l'arme de sa vengeance. La nuit venue, le couple lâche le zombie dans les couloirs du château, en quête de la chambre du duc. Le bestiau y parvient et réveille le vieillard qui tente de se protéger avec un chandelier. Peine perdue, il est proprement (enfin façon de parler) étranglé et les bougies mettent le feu au lit, effaçant les traces du forfait. Du moins les policiers, le lendemain matin, ne s'aperçoivent de rien en farfouillant les débris, et la mort du papy est mise sur le compte d'un accident tabagique. Gruber, interrogé, explique qu'il travaille sur un produit destiné aux chevaux, qui étaient la grande passion du défunt.
Le trouduc est mort, vive le trouduc ! L'héritage et le titre reviennent à Richard, un jeune photographe de mode, beau garçon et insouciant. Il s'installe discrètement au château et, généreux (s'il pouvait se douter de ce qui va se passer !), confirme à Claire et Gruber qu'ils peuvent rester sur place pour continuer leurs recherches. Manque de bol, la nuit venue (bon, faut vous y faire, tout les trucs intéressants se passent la nuit dans ce film), le zombie, qui était pourtant confortablement installé dans son cercueil, sort de sa transe hypnotique et se relève, esquissant quelques pas évocateurs d'un éthylisme prononcé. Livré (en recommandé) à lui-même, sa manie le reprend et, avisant le nain qui dort sur un grabat, lui broie le cou. Puis, mis en appétit, et ayant probablement apprécié sa précédente promenade - il doit cacher dans sa poitrine raccommodée un grand amour pour l'architecture Renaissance - dans les étages supérieurs, se remet à errer dans les couloirs et dans les pièces. La blonde Loretta, domestique et infortunée en l'occurrence, entend ses pas et ouvre sa porte. Avec la promptitude de l'éclair (y'a rien de tel pour titiller un mort-vivant qu'une blonde en déshabillé), il se jette sur elle et, au lieu de lui faire subir les derniers outrages (sa « zombiroute » a dû de toute façon être endommagée lors de son accident mortel) l'étrangle aussi. Enfin, estimant sa tâche accomplie (il voulait « tirer un petit cou » et il en a serré deux pour le même prix), il sort du château et part baguenauder dans la nature. Alertée par le bruit, Claire sort de sa chambre et découvre la pauvre Loretta. Elle réveille difficilement Gruber et tous deux transportent le cadavre dans le laboratoire. Le savant émet l'hypothèse que, si son cobaye s'est réanimé, c'est que son corps s'est habitué à un (fumeux) produit qu'il lui a injecté, baptisé « antidote » - antidote à quoi, on ne le saura jamais. Ils décident que si le nain ira rejoindre anonymement le cimetière (aucune considération pour le « petit » personnel), la belle Loretta devra être ressuscitée par leur procédé. Sur ce, ils prennent la voiture et, dans l'obscurité, recherchent leur brebis égarée. Ils le localisent près du château du Baron de Clanchard. Comme celui-ci fait partie des nobles dont veut se venger Claire, elle persuade Gruber de télécommander le zombie pour l'éliminer. Evidemment, le lendemain matin, les journaux révèlent l'assassinat du baron par un inconnu... (sans l'attribuer au nain, sinon ils auraient accusé un « nain connu »).
A Haussecourt, le jeune duc accueille la belle Susan, envers laquelle il sembler nourrir des projets de mariage (ainsi que d'autres à plus court terme, mais la décence m'interdit d'en parler). Quand arrive le soir, un autre domestique (le chauffeur je crois) prénommé Shawn se glisse dans le lit de sa maîtresse Loretta. Il est un peu surpris de la trouver peu empressée à répondre à ses avances : normal, elle est zombifiée. Ce locdu n'est d'ailleurs même pas capable de s'en apercevoir, alors qu'elle a le teint terreux et des cernes sous les yeux qui évoquent bien plus que des nuits agitées. Il se met pourtant à l'embrasser et à la papouiller. A ce moment, Gruber a un ennui cardiaque et perd son contrôle télépathique (que celui qui le retrouvera le ramène au château de Haussecourt, forte récompense promise). Loretta, libéré de son joug mental (et pas pressée de tendre l'autre joug), en profite pour s'emparer de longs ciseaux et le poignarde sauvagement. Quand le nouveau duc survient, intrigué par le bruit, elle se jette sur lui et il a toutes les peines du monde à la contenir. Heureusement, Joseph et Charles arrivent et, à trois, maîtrisent la meurtrière, qui est livrée un peu plus tard à la police.
D'abord, le légiste a découvert que l'ancien duc a été étranglé ; y'aurait-y pas du meurtre là-dessous, se murmurent dans le creux de l'oreille les représentants de la loi ? Ensuite, les médecins qui examinent Loretta ont la surprise de découvrir... qu'elle est morte ! Même si elle bouge toujours ! Un docteur ne peut qu'émettre cette hypothèse stupéfiante : la de cujus a été scientifiquement ressuscitée... Richard, présent dans les locaux, ne peut s'empêcher de penser aux expériences de Gruber. On tente alors de faire un électro-choc à Loretta qui, après un horrible cri, défunte définitivement, tandis que Gruber, toujours en lien télépathique avec elle, est terrassé par une crise cardiaque (le fameux choc en retour). Libre de tout contrôle, le zombie mâle, qui avait réintégré le laboratoire et son cercueil de gala, reprend sa liberté et trucide aussitôt Claire (laquelle, entre-temps, en avait elle-même profité pour tuer le serviteur Joseph, qui avait commis l'erreur de pénétrer dans le labo), avant de se carapater une nouvelle fois dans la nature. Il a ainsi l'heureuse surprise d'apercevoir Susan (miam miam ! doit-il se dire in petto, puisqu'il est aussi bavard que son catafalque) et il se met évidemment à la courser dans tout le parc - vision d'une rare poésie et d'un esthétisme troublant.
Il réussit enfin à l'acculer (à sec) contre l'entrée close d'un bâtiment. La belle suffoque de terreur, le mort-vivant tend les mains avec avidité... Va-t-il enfin lui défoncer le cou (j'ai bien dit le cou) ? Non, car la bâtisse en question n'est autre que la chapelle, et la croix dressée en haut de la façade fait reculer le meurtrier (lequel est habité, je vous le rappelle, d'un démon inférieur venu directement de l'enfer et qui, donc, comme le premier vampire venu, a peur des croix). Surgissent alors le duc et toute une cohorte de flics, venus s'emparer de Gruber ; ils abattent le mort-vivant qui, à peine à terre, se met à se décomposer. Ouf !
Ah, du bis, du vrai ! Au carrefour des différentes conceptions espagnoles, françaises et italiennes de l'épouvante. Sans pour autant tomber dans le j'menfoutisme tragi-comique des productions Eurociné : ici, le professionnalisme est de mise. Le rythme est certes lent, mais comment en vouloir à un film qui associe château, zombies, jolies filles, nain, expériences pseudo-scientifiques craspecs, invocations sataniques à deux balles et même musique pop ? Bien qu'il ait été réalisé deux ans après, "Le Baiser du diable reprend" la plus grande partie de la distribution de "L'Homme à la tête coupée" : Sylvia Solar, Olivier Mathot (toujours dans les bons coups), Evelyne Scott (étranglée dans les deux cas), Victor Israel, Carlos Otero et Richard Kolin. D'accord, Paul Naschy est absent (on se passe assez bien de lui), mais nous avons à la place le vétéran espagnol Jose Nieto et le sinistre Jose Lifante, au physique assez effrayant (même s'il n'a ici qu'un rôle insignifiant).
A la vérité, les comédiens ne font pas d'efforts démesurés et sont loin d'être exagérément charismatiques, mais leurs tronches conviennent parfaitement à leurs rôles : Sylvia Solar relookée Elvira avant la lettre, Victor Israel dans une brève apparition de noble libidineux, José Lifante en domestique violeur, sans oublier l'inconnu qui joue le zombie.
Les scènes d'anthologie abondent : particulièrement les déambulations du zombie bleuâtre, errant façon somnambule, d'un air pénétré, à travers le château (autant pour la gueule impossible de l'acteur que pour les magnifiques couloirs et escaliers en pierre, très photogéniques). La résurrection du dit mort-vivant n'est pas non plus piquée des hannetons : il fallait le faire pour mélanger chirurgie bas de gamme (le matériel de Gruber paraît des plus dépouillés, on ne voit qu'un microscope pour gosses et quelques éprouvettes) et occultisme de bazar (ah, les incantations à Astarté, Astarov et leur orchestre, avec un décorum rachitique de quelques cierges). On appréciera également le moment où le chauffeur commence à entreprendre, sans rien remarquer, sa copine zombifiée (elle a pourtant l'air crevée, on peut le dire) ; au moins celle-ci ne lui sert pas l'éternel argument de la migraine, et lui assène des arguments plus contondants.
Typiquement le genre de film à regarder en fin de soirée entre copains, après un repas bien arrosé...