Fatal Possession

Genre : blaireau witch

Fiche technique

Revue : Michel Pagel

Je suis un héros, d'avoir visionné d'un bout à l'autre et sans user une seule fois de l'avance rapide la bouse sur laquelle portera notre causerie de ce soir. Je me suis aperçu que je ne chroniquais jamais de films vraiment récents, j'ai voulu inverser la tendance, mal m'en a pris. Et pourtant, j'en ai regardé un au hasard, je le jure. Ce n'est même pas moi qui l'ai choisi : on me l'a envoyé par la Poste sans me prévenir (le coupable se reconnaîtra).

Bon, foin des préliminaires, entrons dans le vif du sujet :

FATAL POSSESSION, de Adeeb A. Barsoum (2001)

Je vais tenter d'être parfaitement fair play et de ne pas accabler cette sympathique entreprise familiale. En effet, voilà un homme qui a écrit un scénario, qui a produit son film et qui l'a réalisé. Il a utilisé pour cela les talents (ou absence d'iceux) de ses proches. D'ailleurs, la moitié des individus figurant au générique s'appellent Barsoum. N'en déduisons pas pour autant que ce sont des Martiens, ou alors les extraterrestres sont nettement moins en avance sur nous que nous le pensions. Notre ami Adeeb a aussi engagé deux copains et trois copines à lui pour jouer les personnages principaux. Ou plus exactement pour en débiter les dialogues et en mimer la gestuelle : on ne peut pas appeler ça jouer. Enfin, notre ami Adeeb s'est muni du camescope de sa grand-mère et il a emmené toute son équipe dans le petit bois derrière chez lui, parce que c'était gratuit.L'image évoque des films de vacances en extérieurs, et du porno-vidéo de base en intérieurs. Ce qui est filmé a cependant nettement plus à voir avec les films de vacances qu'avec du porno. (Notez, c'est normal : si je tournais un film avec mes copines, moi non plus je n'oserais pas leur demander de se déshabiller.)

Soyons honnête avec Adeeb : ce n'est pas un nul total. Il ne filme pas en dépit du bon sens, le langage cinématographique est cohérent et les cadrages raisonnablement pertinents. Mais alors, à part ça, quelle catastrophe ! Ignorant l'ellipse, le metteur en scène perd un temps fou à nous montrer ses personnages faisant des choses parfaitement inintéressantes (comme se mettre au lit pour dormir, ou bien monter en voiture et démarrer lentement, alors que couper tous ces petits bouts inutiles donnerait un peu de rythme à un film qui n'en a pas le moindre et présenterait l'avantage supplémentaire de raccourcir la chose d'au moins un quart d'heure. (Notez qu'à 1 h 10, faut pas se plaindre, ç'aurait pu être pire.) Et puis y'a pas : un camescope, c'est un camescope. Il faut une idée à la Blair Witch pour tourner quelque chose de crédible en vidéo.

En outre, et c'est la sagesse même, Adeeb n'emploie pas d'effets spéciaux. Enfin, si, il en emploie un, et malheureusement, il le foire lamentablement. J'y reviendrai.

Bon, deux mots de l'histoire : un groupe de teen-agers (oui, ça part mal) passe d'heureuses vacances en Californie. Il y a là Ann, notre héroïne (jouée par une certaire Lara Ashley, qui est très mignonne, mais qui a l'air d'avoir à tout casser seize ans et qui a l'air franchement cruche — sans qu'il y ait de rapport de cause à effet), sa copine Susan, son autre copine Nancy, son copain Jeff et son autre copain Max. Ils sont tous très gentils. Non, je ne plaisante pas : on les voit même jouer gentiment à la balle, comme des gamins de huit ans, à un moment. Ann a juste un petit problème : elle entend des voix. Vous me direz qu'il y a des précédents, mais attendez : ces voix sont celles d'antiques esprits qui lui annoncent qu'elle est Isis, Reine d'Egypte (sic). Hein ? Y a des précédents aussi ? Bon, je ne dis plus rien. (du moins à ce sujet). Poussée par les voix, la jeune fille va déterrer une petite chaîne en or munie d'un médaillon qui a passé vraisemblablement des siècles dans son jardin, à cinq centimètres de profondeur. Malgré une voix qui lui dit que ça va causer plein d'ennuis, elle écoute celle qui l'encourage à se mettre le collier autour du cou. Ensuite, on la voit se coucher pour dormir. Ensuite, elle joue à la baballe avec ses copains.

ANN : Vous savez quoi, les potes ? Je suis la Reine d'Egypte.
VOIX DE L'ESPRIT : Ann, c'était censé être notre secret.
JEFF : Qu'est-ce que t'as dit ?
ANN : Non, rien, laissez tomber.

Ensuite, ils vont au cinéma. Ensuite, Ann se couche et dort. Le spectateur aimerait en faire autant. Le lendemain, elle voit du sang couler de son miroir. Elle court chercher sa mère.

ANN : Maman, maman ! Y a du sang plein mon miroir.
MAMAN : Mais non, chérie.
ANN : Si, si, y a du sang plein mon miroir.
MAMAN : Ann, je te l'ai répété cent fois. Il n'y a pas de sang sur ton miroir.
ANN : Si, si, ce coup-ci, y a vraiment du sang plein mon miroir.

Et évidemment, quand la maman arrive devant le miroir, il n'y a pas de sang. Un bref éblouissement saisit alors le spectateur imprudent qui n'a pas songé à fermer les yeux juste avant le cliché.

Bon, c'est pas grave, vu qu'il n'y a de sang nulle part, Ann part camper avec ses copains dans la forêt. Et là, j'ai éprouvé cette terrible sensation de déjà vu : Les Forces du Mal, que j'ai chroniqué récemment. On dirait la même forêt. Et ça va recommencer, ces errances éternelles de personnages qui se perdent et se retrouvent, et qui marchent et qui marchent et à qui il n'arrive rien ou presque. Pourquoi moi ? (D'accord, je les cherche, mais quand même.)

On dit camper, mais en fait, il occupent une espèce de hutte de rondins dont on se demande un peu ce qu'elle fout là. Dès qu'ils arrivent, nous assistons au déchargement complet du coffre de leur break, et ensuite, ils commencent à préparer la bouffe. C'est passionnant. Ensuite, Jeff va embrasser Susan sur la plage. (Oui, y a une plage à côté de la forêt. C'est en Californie, on vous dit.) Ensuite, Ann parle à Nancy de ses voix et de son collier, car elle la sait aussi fascinée qu'elle même par l'Egypte.

Ensuite, elles vont nager, mais finalement, elles s'aperçoivent que l'eau est froide et Ann décide de ne pas se baigner. Elle va rejoindre les autres en abandonnant ses affaires sur la rive, ce qui permet à Nancy de lui chiper son collier. C'est encore une fois très logique. C'est à partir de là que les personnages commencent à se balader dans les bois à tort et à travers. Ils se rencontrent brièvement, s'adressent deux ou trois mots, certains (Ann et Nancy) se volatilisent pour réapparaître un peu plus loin. (C'est l'effet spécial raté dont je parlais : c'est bien de mettre sur pause pour ajouter ou retirer instantanément un personnage, mais encore faudrait-il s'assurer que les autres, eux, ne bougent pas entre temps. Adeeb n'a pas dû y penser, c'est bête.)

Bref, j'accélère un peu : Max va ramasser du bois mort. Quelqu'un jette une motte de terre derrière lui. Pris d'une terreur légitime (une motte de terre, vous imaginez ?), il lâche son fagot et se met à courir comme un dératé devant... rien du tout. Puis il rencontre Nancy qui lui dit qu'il a de la chance, avant de disparaître. Re panique du gars. Et soudain, un bras fin, visiblement féminin, sort de derrière un arbre. Un bras que Max semble de taille à casser en deux comme une allumette mais dont la main l'étrangle néanmoins en une demi-seconde chrono. Un peu de sang coule des lèvres du mort (j'avais oublié cet effet spécial-là, désolé.) Bon, les autres découvrent le corps. Evidemment, ils décident de passer la nuit sur place et d'aviser au matin. Je ferais pareil, je suis sûr. Pendant la nuit, nous avons droit au plus beau dialogue du film. Jeff et Susan sont sortis de la hutte (qui mesure environ dix mètres carrés) pour se dire que décidément, il se passe quelque chose de pas normal, ce dont on les remercie beaucoup. Lorsqu'ils reviennent, ils constatent qu'Ann dort toujours mais que Nancy n'est plus là.

SUSAN : Elle est où, Nancy.
ANN : (après avoir exploré le réduit d'un grand regard circulaire.) Je sais pas. Elle est peut-être dehors.

C'est le "peut-être" qui me tue, excusez-moi.

Bref, Nancy réapparaît, avec sur le visage un maquillage façon Cléopatre, elle révèle qu'elle est je ne sais plus quel esprit du mal et qu'elle est venue pour se venger d'Ann/Isis, dont le fils Horus a tué son fils à elle. N'arrêtant pas de se téléporter grâce au calamiteux effet déjà signalé, elle tue successivement Jeff et Susan. (Etranglement rapide et filet de sang coulant des lèvres pour le premier, rupture des cervicales et filet de sang coulant des lèvres pour la seconde — CRAC ! fait la bande sonore.)
Ann réussit pourtant à lui arracher le collier, mais ensuite, elle continue de se téléporter. Je voudrais bien qu'on m'explique à quoi sert ce putain de collier, alors, d'autant qu'Ann a beau être Isis, elle ne semble pas posséder le moindre pouvoir, avec ou sans bijou. Les deux filles s'empoignent et entament une lutte farouche où tous les coups sont permis sauf ceux qui font mal.
Et là, la maman d'Ann la réveille. Ce n'était qu'un rêve. The End. Excusez-moi un instant, j'ai les dents qui grincent, je vais les huiler et je reviens.

Que dire de plus ? Que lors d'une des innombrables séquences inutiles, Ann se réveille dans son lit et tend le bras pour arrêter un réveil qui se met à sonner bien après qu'elle a entamé son geste ? Non, ce serait déloyal.

The pits, comme on dit en anglo-saxon. L'ultime fond du panier. Moins sanglant que Blanche Neige et les Sept Nains, moins palpitant que L'Année Dernière à Marienbad, moins cohérent que Plan 9 from Outer Space, moins drôle que Cris et Chuchottements, moins friqué que Night of Vampyrmania, je vous rappelle le titre : FATAL POSSESSION.

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