Le gang des tueurs

Genre : gangsters minés

Fiche technique

Revue : Michel Pagel

Al Adamson, c'est un grand, un vrai. A chaque nouveau film que je vois, je me dis : c'est pas possible ; il a bien dû en faire un bon, un jour. Une telle constance dans la nullité, ça défie les probabilités. Heureusement, Al ne m'a jamais déçu, et c'est pourquoi j'ai ce soir le plaisir de vous entretenir de :

LE GANG DES TUEURS, a.k.a. BLACK HEAT, a.k.a THE MURDER GANG, a.k.a U.S. VICE, a.k.a GIRL'S HOTEL (1976)

C'est peut-être pas le record des titres alternatifs mais c'est un bon candidat, en tout cas. Figurez-vous que le film existe en au moins quatre versions, destinées à divers marchés : cinémas des quartiers noirs, drive-ins, Canada et vidéo. La version que j'ai est en vf et vient du Québec. J'ignore totalement de laquelle il s'agit. (Mais peut-être la personne qui me l'a fournie pourra-t-elle répondre à cette question ?)

L'existence de la version "noire" n'est pas étonnante, car le film louche très fort du côté de la Blacksploitation. Le héros et le grand méchant, déjà, sont tous les deux noirs, ainsi que l'héroïne, et c'est le cas d'une bonne partie de la distribution.

Bon, un peu de scénario : une organisation de trafiquants dirigée par un nommée Guido (J.C. Wells) est recrutée pour fournir des armes à un groupement révolutionnaire d'Amérique du Sud qui fournira en échange de la cocaïne premier choix. Cette organisation a son QG dans les locaux d'une boîte/hôtel de Las Vegas, tenue par Fay (Jana Bellan, qui est le sosie presque absolu de Mireille Matthieu, coiffure comprise, ce qui est déjà hilarant en soi) et Ziggy (Russ Tamblyn). Tous ces gens-là s'occupent aussi à l'occasion de braquer des banques et autres opérations du même genre, ce qui leur vaut l'attention de la police, représentée par Kicks (Timothy Brown, notre héros) et Tony (qui est blanc : nous avons donc des gentils et des méchants des deux couleurs). Kicks est le petit copain de Stéphanie (Tanya Boyd), une journaliste, alors que Tony drague Terry, une petite blonde, ex-joueuse invétérée, qui a des contacts dans la boîte des trafiquants. Il y a aussi un rôle de chanteuse de bar parfaitement inutile, qui n'est vaguement développé que parce qu'il est tenu par Regina Carroll, Mme Adamson, laquelle a encore une fois l'occasion de prouver son absence totale de talent pour la chanson. Son numéro est ici un peu moins affligeant que dans Dracula Contre Frankenstein, cela dit, parce qu'au moins, elle ne danse pas. Bon. Guido contacte Alphonse, un Noir jovial réputé pour fournir n'importe quoi à qui a les moyens de payer, et ils se mettent d'accord pour un achat d'armes. Il se trouve qu'Alphonse est aussi l'indicateur préféré de Kicks (quelle chance ! On mettrait ça dans un film, personne n'y croirait), donc ça part mal pour les méchants.

Là dessus, comme nos deux flics sont aussi discrets que des éléphants dans un magasin de porcelaine (ils trouvent même intelligent d'aller picoler dans la boîte suspecte avec leurs copines), Tony finit fatalement par se faire buter, parce que comment voudrait-on que le héros se passionne vraiment pour l'action si son partenaire ne se fait pas buter, hein ?

Ben oui, mais le problème, c'est que Timothy Brown est aussi expressif qu'une bûche et qu'il n'est pas aidé par ses dialogues. On a vraiment l'impression qu'il se dit "Tony s'est fait avoir. Merde. Chienne de vie. Bon, ressers-moi un coup." Il continue son enquête comme si de rien n'était. Pas de grosse colère. Pas de serments de vengeance. Que dalle. Saluons cette tentative louable du sieur Adamson pour échapper aux clichés. Tony mort, sa copine Terry recommence à jouer et à perdre gros. C'est Fay/Mireille Matthieu qui rachète ses dettes et qui lui explique qu'elle doit désormais fournir des renseignements sur les transports de fond de la société où elle travaille. Comme l'autre se récrie, Fay lui dit qu'elle peut obtenir un petit répit en étant très gentille avec elle. Car, oui, mesdames et messieurs, Mireille Mat... je veux dire Fay est lesbienne. Oh, la vilaine ! Al, franchement, après avoir fait preuve d'un tel esprit politiquement correct en ce qui concerne les minorités raciales, je m'étonne que tu injuries ainsi les minorités sexuelles. C'est pas bien. Et ce qui est encore moins bien, espèce de petit salopard, c'est de couper la scène juste au moment où Terry commence à se laisser faire ; ça, c'est un crime de lèse-nanaritude. Mais bon, passons. Si ça se trouve, j'ai pas la bonne version, moi. Accessoirement, puisqu'on en est là, signalons que le film est globalement chaste, à l'exception d'une brève scène d'amour entre Kicks et Stéphanie, sa copine journaliste.

Je reprend mon histoire. Entre payer 15.000 dollars cash et trahir son patron, Terry n'hésite pas. Elle donne des renseignements sur un transport de fonds d'un quart de million de dollars. Elle est un peu poussée par le spectacle que Ziggy Tamblyn lui impose : il l'emmène chez un type qui lui doit de l'argent et dont il démolit la voiture à coups de marteau, avant de le démolir lui et de lui rouler dessus en bagnole. Le tout en plein jour, dans une rue d'un quartier résidentiel, mais bon : la police est incapable, chacun sait cela. Et de toute façon, ce n'est pas la pire invraisemblance du film.

Terry, un peu tourmentée par le remord quand même, se confie à Stéphanie et à Valérie la chanteuse dispensable. Et là, elles ont l'idée du siècle : plutôt que de prévenir la police, Stéphanie suivra les malfrats et filmera l'agression qu'ils projettent. Comme ça, on pourra les arrêter. Et là, attention !

La scène : en plein jour, dans une grande artère passante, un homme de petite taille, habillé en banquier, sort d'une banque. Il a à la main une mallette liée à son poignet par des menottes. Dans la mallette, il y a un quart de million de dollars !!! Le gars, sourire aux lèvres, se met à déambuler sur le trottoir. Bon, je sais que c'est plus discret qu'un camion blindé mais quand même, j'y crois moyen. D'autant plus que le gars ne réagit pas du tout quand deux grands Noirs sortent d'une voiture et commencent à marcher à sa hauteur sur le trottoir, se laissant insensiblement dépasser. Evidemment, ils se jettent sur lui, et Guido, le chef, lui tire carrément une balle dans la tête, avant de le repousser dans la voiture. Ça ne fait pas de dégâts apparents, et d'ailleurs, dans la rue, personne ne réagit. Blasés qu'ils sont, les gens. Si c'est comme ça, Las Vegas, comptez pas sur moi pour aller perdre ma chemise au casino, hein. Bref, la bagnole redémarre, peinarde, prend une rue transversale, et largue le cadavre après lui avoir tranché le poignet qui tenait la mallette. Et notre journaliste, qui a bel et bien tout filmé, se retrouve comme une conne. Elle va donc trouver Kicks (à la limite, elle aurait commencé par là, on gagnait du temps et le convoyeur de fonds rentrait chez lui peinard.) et lui montre son film. Toujours aussi expansif, il lui dit que c'est du bon boulot mais que c'était pas bien. Elle répond que oh là là, elle est désolée, alors. Et puis Kicks part faire le siège de la boîte pour arrêter tout le monde (parce qu'ils sont rentrés chez eux, bien sûr, où voudriez-vous qu'ils aillent ?). Fay est arrêtée sans problème. Tous les méchants se font descendre : Russ Tamblyn tombe d'une mezzanine sur un machin pointu qui le transperce et il meurt en faisant un doigt à Kicks. La scène est assez drôle, il faut l'admettre. Et volontairement, je crois. Bref, tout est bien qui finit bien, après ce superbe morceau de bravoure à peine desservi par une légère absence de rythme.

Ben non...

C'est pas fini...

Figurez-vous que Guido n'était que blessé et qu'il s'est échappé. Chapeau pour l'anticlimax. Bon, c'est normal que ce soit le plus fort, c'est le chef. D'ailleurs, Alphonse, l'indic, nous disait un peu plus tôt : "Lui, c'est un caïd. Qu'est-ce qu'il fout avec des tocards comme Ziggy et Fay ? Il en a pas besoin. Il doit y avoir anguille sous roche" En effet, c'est frappant. Mais ça n'est jamais expliqué.

Bref, la livraison d'armes a lieu. Kicks et un collègue suivent la voiture d'Alphonse qui est munie d'un émetteur. Guido prend la marchandise et descend le vendeur : "T'as été trop gourmand et puis je te trouvais pas drôle" lui dit-il. Ensuite, il part rejoindre ses partenaires sud-américains.

Quand Kicks trouve le cadavre de son indic, qu'il aime bien, ça se sent, il craque complètement. C'est à dire que Timothy Brown pince légèrement les lèvres en prenant l'air dur pendant un quart de seconde. Puis il se relance à la poursuite de Guido.

Ça se termine évidemment en fusillade, à l'issue de laquelle Guido réussit à s'enfuir en avion. Kicks tire sur l'appareil, qui s'enflamme, et comme il est rempli de munitions : Boum ! Fin du film.

Bilan des courses. Scénario inconsistant, bourré d'incohérences et mal construit. Mise en scène molle. Interprétation catastrophique (sauf Russ Tamblyn, mais merde, il aurait pu tourner plus de bons films, quand même. Dans celui-ci, cependant, il est responsable des seuls moments vraiment rigolos. Merci, Russ). Pas de sang. Peu de fesse. Une chanson lamentable (le reste de la musique, soul ou funky, restant tolérable). Du Al Adamson pur jus.

PS : Si quelqu'un a les autres versions, je suis volontaire pour les visionner et les comparer afin d'en tirer une passionnante analyse critique de portée quasiment téléramesque ou cahiersducinémasque. (Et notamment : cette scène de lesbianisme a-t-elle été tournée, oui ou non?)

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