Analyse comparative des films de Zombies nazis européens

Genre : zombies nazis (si si, c'est un genre... il contient plusieurs films)

Fiche technique (voir à la fin, les annexes)

Revue : Marc Madouraud

Le sujet de notre conférence d'aujourd'hui est l'analyse comparative de deux chefs-d'oeuvre du grand écran, j'ai nommé "L'Abîme des morts-vivants" de Jesus Franco et "Le Lac des morts vivants" de Jean Rollin.

Synopsis :

L'Abîme des morts-vivants : Durant la seconde guerre mondiale, une troupe d'élite allemande, qui convoyait le trésor de Rommel, et son homologue britannique se sont entretuées dans une oasis, quelque part dans le Sahara. Seul un capitaine anglais s'en est sorti, sauvé par un cheikh. Pendant sa convalescence, il est tombé amoureux de la fille du cheikh, mais a tenu, dès sa guérison, à rejoindre le front. A son retour, la guerre finie, il a découvert que la belle était morte en mettant au monde un fils, qu'il emporta avec lui à Londres. Une grosse vingtaine d'années plus tard, le pauvre capitaine est tué par un ancien officier nazi qui voulait connaître l'emplacement de l'oasis. Quand l'Allemand et son équipe atteignent l'endroit, ils sont massacrés pendant la nuit par une horde de zombies affamés surgis des sables : les soldats nazis devenus morts-vivants. Le fils du capitaine, un beau jeune homme maintenant, arrive à son tour avec ses amis pour découvrir la vérité et s'approprier le trésor. Ils gagnent l'oasis en compagnie d'une équipe de scientifiques. Bien évidemment, à part le héros et sa copine, tout le monde se fait trucider, malgré une résistance héroïque. Les zombies restent maîtres des lieux.

Le Lac des morts-vivants : Dans un petit village français, les résistants locaux ont, en 1944, abattu une petite troupe allemande et ont jeté les cadavres dans l'étang tout proche pour éviter des représailles. Parmi ces soldats, un jeune homme était tombé amoureux d'une beauté du cru, et la belle avait enfanté, donnant à son aimé, avant son funeste départ, un collier en guise de gage d'amour. La mère n'avait pas survécu longtemps à son amant, mourant des suites de son accouchement. Dix ans plus tard, une superbe jeune fille se baigne, malgré l'interdiction, dans l'étang, parmi les nénuphars ; mal lui en prend, car des soldats allemands zombifiés surgissent du fond et la tuent. Probablement réveillés, les zombies sèment la terreur dans le village. Ils dévorent une équipe féminine de basket qui avait eu aussi l'idée malencontreuse de faire trempette, butent deux policier venus faire mollement une enquête et errent chaque nuit dans les rues du village pour faire de nouvelles victimes, indifférents aux balles que l'on tire sur eux. Dans ses déambulations, le papa zombie croise sa fillette, qui le reconnaît au collier de sa mère ; malgré son teint verdâtre et ses yeux exorbités, l'enfant l'aime immédiatement. D'ailleurs, le père va la protéger de l'appétit de ses collègues affamés. Le maire du village convainc alors la fillette de les aider, et les zombies sont pris au piège dans une maison, puis brûlés avec un lance-flammes improvisé.

Recensement des points communs :

Le vrai héros des deux films est bien entendu le Zombie Nazi. Il se distingue de ses congénères normaux par le port d'un uniforme et par la discipline qu'il observe lors de ses attaques, ainsi que par son lourd passé de mort qui ne peut qu'accroître la terreur qu'il inspire.

Autre ressemblance, la connerie des titres français : pas d'abîme, mais une banale oasis (et encore, on ne voit pas d'eau), et pas de lac, mais un petit étang verdâtre truffé de nénuphars et autres plantes aquatiques (précisons que le dit étang est remplacé, pour les scènes sous-marines, par une piscine dont on voit fort bien les parois dans certaines prises de vue).

Qui dit zombie nazi dit aussi flashback guerrier, remontant à une ou deux décennies. "L'Abîme" insiste plus sur la qualité pyrotechnique de ce retour historique, en nous présentant force scènes de guerre, où des soldats sautent fort obligeamment à gauche ou à droite, dans un ensemble chorégraphique admirable, pour montrer qu'ils sont touchés. "Le Lac", plus rural, évoque davantage le drame de ces jeunes soldats, tués à la fleur de l'âge par des résistants qui en avaient probablement marre que ces envahisseurs viennent engrosser leurs filles.

D'ailleurs, la naissance tragique (pour la mère) est commune aux deux films. La plus émouvante est bien sûr celle du "Lac", puisque l'un des zombies n'est autre que le père de l'enfant.

Antonio Mayans (alias Robert Foster), un des acteurs fétiches de Jesus Franco, est présent dans les deux. Un Franco dont on sent la patte : dans "L'Abîme", puisqu'il l'a réalisé, mais qui ne rappelle son style que dans une scène nocturne, où une sentinelle est - très - lentement entourée par les zombies qui sortent des sables, mais aussi dans "Le Lac", puisque l'intrigue de celui-ci reprend un des ses thèmes préférés, le rapport filial à travers la mort - en effet, une fille rencontre son père zombifié qui va tenter de la protéger, comme dans "Les Maîtresses du docteur Jekyll" et "Une vierge chez les morts-vivants". Normal, car le petit Jesus s'avère le scénariste des deux bouses.

Inutile de dire que les anachronismes sont légion. Je ne suis pas sûr, par exemple, que la fourgonnette des basketteuses, dans "Le Lac" ait existé en 1955, mais certains ameublements ne l'étaient sûrement pas. Plus fort, une des filles de "L'Abîme" utilise un walkman, et ce vraisemblablement vers 1965/70.

Enfin, le jeu des acteurs est souvent exécrable, mais tout particulièrement dans "Le Lac", où tous les villageois, de la fillette au bistrotier, ânonnent leur rôles très comiquement.

Mais il est temps pour nous de nous livrer à une étude plus profonde des caractéristiques des deux écoles françaises du zombie nazi, et étudier les différences anatomiques, comportementales et sociologiques entre le Zombie Nazi Sec (ZNS) de "L'Abîme..." et le Zombie Nazi Mouillé (ZNM) du "Lac..."

Nous examinerons six points :

1) L'aspect extérieur

Le ZNS, bien que parfait soldat nazi en son temps, adopte une présentation débraillée et curieusement rajeunie dans sa seconde vie. Non seulement son uniforme ne rappelle que fort peu celui de l'Africa Korps, mais sa coupe de cheveux, longue et ébouriffée, évoque plus les zazous que le fier guerrier teuton préposé à la coiffure en brosse. Pire encore, ses traits, malgré son maquillage plus que sommaire, indique clairement son très jeune âge, incompatible avec son statut de guerrier d'élite. En clair, sous le ZNS se cache un étudiant venu cachetonner. Un mauvais point pour lui. Il faut toutefois signaler la présence d'un ZNS d'exception, dont la tête est constituée d'un crâne noirci à la mâchoire fracassée, d'une touffe de cheveux blonds et de quelques esthétiques vers de terre lui grouillant sur le "visage". Rendons d'ailleurs grâce au ZNS qui, en cheveux ou en os, abrite généralement de nombreux lombrics fort vivaces (l'un sort très élégamment d'une narine) et fait ainsi preuve d'une certaine vie, pas toujours perceptible au premier abord quand on le voit déambuler à deux centimètres à l'heure. En revanche, on pourra légitimement s'interroger sur la crédibilité d'un ver de terre vivant dans le sable, mais tous les scénaristes ne sont, j'en conviens, pas agrégés de zoologie.

Le ZNM, lui, revendique plus de crédibilité. Non seulement il porte fièrement son uniforme du troisième reich, même trempé, mais arbore la plupart du temps le casque rituel, ce qui ne doit pourtant pas lui faciliter la nage dans l'étang. Loin du masque plâtreux qui défigure le ZNS, il présente sur son visage et ses mains (pas toujours sur le cou, car visiblement il n'y avait plus de teinture) une agréable couleur verte, particulièrement bien assortie tant à ses vêtements qu'à la teinte de l'étang, quelquefois souillée du rouge du sang des victimes. Précision intéressante, seuls ses deux leaders n'ont pas de couvre-chefs, à l'exception d'un chauve patibulaire qui a la particularité de n'apparaître que dans les scènes sous-marines et dans une scène terrestre, tout en étant absent des autres, notamment celles où ses congénères sortent de l'eau. Notons également, pour certains ZNM, une approche peu professionnelle qui leur donne une démarche grotesque de culbuto en folie.

2) Le profil psychologique

Le ZNS, au départ, est décrit par son ancien formateur comme un tueur, un élément d'élite de l'armée allemande. Rien d'étonnant à que, une fois mort, le ZNS continue allégrement à trucider. Toutefois, ses armes à feu ayant rouillé, il est bien obligé d'utiliser l'outil préféré du zombie : ses dents (dans ce cas, on dit qu'il prend « le mort aux dents », bien évidemment). Plutôt sadique dans sa vie antérieure, d'après ce que l'on a compris, il persiste dans l'au-delà. En d'autres mots, le ZNS est un individu asocial et nuisible, que je vous déconseille vivement de rencontrer.

Le ZNM n'était auparavant qu'un banal soldat de la Wermacht, parfois fort sympathique comme dans le cas du père de la fillette. Il ne tue désormais que par nécessité, pour se procurer du bon sang frais, et peut-être un peu par vengeance (pas facile à vérifier, allez faire une psychanalise dans un étang glauque, vous !), pour prendre sa revanche sur des villageois qui l'ont tué et condamné pour l'éternité à contempler des nénuphars par la racine. Accessible à la pitié, il l'est aussi à la colère, comme le prouve la bagarre entre le ZNM blond et le ZNM brun, le second reprochant visiblement au premier - de façon muette, donc c'est pas facile à suivre - de protéger abusivement sa fifille, alors que les Kamarads ont une soif d'enfer. En résumé, le ZNM pourrait être un brave gars s'il n'était pas aussi affamé et ne puait pas la vase.

3) L'origine de sa zombification

Peu claire pour le ZNS. Il a été massacré en même temps que des soldats britanniques, et seuls les allemands ont été zombifiés. Pourquoi ? La parole donnée à Rommel, de protéger jusqu'à la mort - et même après - le trésor ? Peut-être. Un beau cas de loyauté, alors. Le ZNS semble se réveiller invariablement dès la présence d'un vivant dans son oasis d'élection, qu'il fasse jour ou nuit (ce point est plutôt embrouillé, d'ailleurs).

Quant au ZNM... L'étang du village aurait-il des propriétés zombificatrices ? A cause d'une variété spéciale de nénuphar ? A moins que ce ne soit la soif de revanche des soldats abattus par surprise ? Si c'était le cas, il y aurait de l'animation dans tous les cimetières du monde. A priori, ces morts-vivants d'eau semi-profonde ne sont sortis de leur léthargie aquatique que lorsqu'une jeune fille est venue agiter les gambettes dans leur mare. Qu'ont-ils fait avant ? Etaient-ils en hibernation ? Se contentaient-ils de saigner les carpes et autres créatures aquatiques à leur portée ? Mystère...

4) Le mode d'alimentation

Le ZNS n'est a priori pas difficile : il dévore tout ce qui tombe sous la main, homme ou femme. Et quand je dis dévorer, il dévore réellement : il mord sur tout le corps, en arrachant des lambeaux de bidoche, dans la grande tradition de George Romero. Bien sûr, s'il croise une belle pépée, il commence à la déshabiller, car même quand on est zombi, soldat et nazi, on n'en est pas moins homme (ou du moins on l'a été). Curieusement, les effets de ses morsures sont variables : elles semblent rendre fou de douleur l'ancien officier nazi, mais n'indisposent pas la blonde assistante du savant qui, mordue le matin, n'a plus aucune cicatrice le soir et peut derechef penser à la gaudriole.

Plus subtil, le ZNM s'apparente davantage à un vampire : il se contente de mordre au cou et de sucer le sang. Il peut même se contenter de sang animal, comme lui propose dans un bol la fillette compatissante et rusée. Aussi se demande-t-on pourquoi le ZNM s'attaque-t-il aux villageois et non pas à leurs vaches, par exemple ? Peut-être parce que leurs vaches ne vont pas nager dans l'étang, au contraire de toutes les insconcientes du coin ? Peut-être. Toujours est-il que le ZNM affiche un excellent goût et ne choisit ses proies, quand il le peut, que parmi de délicieuses jeunes filles nues venues se baigner, auxquelles il fait subir quelques papouilles bien placées. Aussi imaginez son bonheur quand toute une équipe de basket féminine vient se faire tremper la cressonnière dans l'étang ! Chacun ayant son vice caché, le ZNM peut toutefois se contenter d'un banal Jean Rollin, pourtant pas bandant pour deux sous.

5) La technique d'approche

Pour tout dire, le procédé dont use le ZNS demande beaucoup de bonne volonté de la part de sa victime. Il faut déjà une atmosphère spéciale (la nuit, avec du vent qui égrène le sable le long des dunes) et un quidam solidement planté près de lui. Là, au bout d'un temps interminable une main surgit du sable, suivie du reste du corps au bout d'un moment. Puis le ZNS, avec une lenteur à rendre jaloux un petit gris de Bourgogne, se "rue" sur sa proie, souvent en compagnie de ses congénères et, grâce à la bienveillance de celle-ci (on va dire qu'elle est paralysée par l'effroi, pour être gentil), en vient à bout à grand renfort de ratiches cariées. Pas très concluant mais globalement efficace. D'autant qu'il est aidé par son invulnérabilité aux balles.

Le ZNM utilise deux méthodes, l'une aquatique, l'autre terrestre. Comme vous l'avez compris, son élément c'est l'eau. Aussi n'est-il jamais aussi redoutable que lorsqu'il peut, à l'instar des dents de la mer, aborder sa proie par voie lacustre. Celle-ci pataugeant en surface, il surgit du fond et en vient facilement à bout, n'ayant pas, comme le commun des mortels, l'obligation de respirer. Par contre, son modus operandi n'est alors pas très clair : saigne-t-il à la surface, ou noie-t-il d'abord sa victime, à la manière du crocodile, pour s'en sustenster au fond de l'eau ? Je l'ignore. Sa méthode terrestre est étrangement proche de celle du ZNS : il arrive en groupe sur sa nourriture à pattes qui, tétanisée, ne songe pas toujours à fuir. Reconnaissons tout de même qu'il aime attaquer par surprise, profitant de l'inattention de son objectif, et qu'il sait également faire preuve d'une surprenante vivacité dans le dernier geste. Rien à dire, la technique du ZNM est nettement supérieure à celle de son homologue.

6) Le point faible

Ou comment venir à bout du zombi nazi. Pas évident. Le ZNS comme le ZNM sont indifférents aux balles.

Le ZNS, étant sec, s'avère particulièrement inflammable. Une simple torche, ou, mieux, un cocktail molotoff, le transforme en esthétique torche inhumaine dans la nuit. Mais est-il vraiment détruit ? On peut en douter, car on constate, à la fin de la bataille finale, que les "survivants" s'évaporent dans l'air comme des fantômes. Reviendront-ils encore s'attaquer comme si de rien n'était aux futurs intrus, comme les ploucs rigolards et revanchards de "2000 maniacs" de HGL ? Très possible... Conclusion, le ZNS est dur à abattre et, seule solution, il vaut mieux rester à l'écart de l'oasis.

Plus abordable, le ZNM, bien qu'il paraisse aussi solide, peut être visiblement détruit. Lui aussi par le feu, malgré son taux - compréhensible - d'humidité fort élevé. Il faut pour cela un lance-flamme et du napalm : en insistant, il finit par cramer. Là encore, le ZNM fait preuve de savoir-vivre (ou de savoir-mourir).

Conclusion : le ZNM peut-être sans problème l'invité de votre prochain film d'horreur. Stylé, élégant, sensible et habile, il se montre autrement plus intéressant que le trop rustique ZNS, décidément pas sortable.

Toutefois, pour parfaire notre analyse, il nous manque un troisième point de vue : celui de l'école américaine du Zombie Nazi - version d'Outre-Atlantique du ZNM - décrite dans "Le Commando des morts-vivants" ("Shock Wave") de Ken Wiederhorn. Ce sera pour une prochaine fois.

Espérons également pour de futures rubriques : le ZN en vacances, le ZN à la plage, le ZN fait du ski, le ZN dans l'espace, la vie sexuelle du ZN, Comment j'ai rencontré un ZN et j'en suis tombée amoureuse, etc.

Professeur Marc Madouraud, titulaire de la chaire de zombiologie à l'université de Miskatonic, auteur de la thèse "Le zombie nazi à travers les âges, sa mort, son oeuvre".

Annexe : Fiches techniques

"L'Abîme des morts-vivants" ("La Tumba de los muertos vivientes", 1983) , réalisé par AM. Frank (Jesus Franco), interprété par Manuel Gélin, France Jordan, Antonio Mayans, Eric Viellard, Henri Lambert, Jeff Montgomery, Myriam Landson, Eduardo Fajardo, Lina Romay, Miguel Angel Aristu.

"Le Lac des morts vivants" (1980), réalisé par J.A. Laser (Jean Rollin), interprété par Howard Vernon, Pierre-Marie Escourrou, Antonio Mayans, Anouchka, Jean Rollin, Nadine Pascal, Youri Radionow, Burt Altman, Gilda Arancio.

Retour à la page BIS