7 films de Frankenstein - Hammer films
Genre : grand type avec un boulon dans la tempe
Revue : Michel Pagel
Comme je viens de compléter ma série des Frankenstein de la Hammer, j'en ai profité pour la regarder dans l'ordre, et je m'en voudrais de ne pas vous en faire profiter. Attention, je sens que ça va être long. D'abord, quelques généralités. En tout sept films, répartis sur une période de 16 ans. Si la série Universal était avant tout fondée sur le monstre, peut-être parce qu'on disposait en Boris Karloff d'un acteur capable de lui conférer une personnalité attachante, celle de la Hammer est très nettement centrée sur le baron lui-même. Dans certains épisodes, il n'y a même pas de monstre à proprement parler. Malgré la présence quasi permanente de Peter Cushing en Frankenstein (6 fois sur 7), il ne s'agit par ailleurs pas d'une authentique série. Les deux premiers se font suite, mais les autres les ignorent joyeusement et racontent leurs propres histoires, pour le meilleur ou pour le pire. Enfin, et ce n'est pas le moindre mérite de ces films, aucun ne ressemble tout à fait aux autres. Chaque fois, l'ambiance, les motivations, le décor, le scénario sont différents.
Allez, on plonge.
1) THE CURSE OF FRANKENSTEIN (Frankenstein s'est Echappé, 1957, Terence Fisher). Celui-là, à l'époque, a dû faire l'effet d'une bombe. Premier film de monstres "classiques" anglais, premier Frankenstein en couleurs, et résurrection de personnages que la dégénérescence des productions Universal avait transformés en personnages de comédie. Pas la peine de résumer l'histoire : tout le monde la connaît. Quoique simplifiée, c'est en gros celle du bouquin. Peter Cushing est impeccable en Frankenstein (mais Peter Cushing est toujours impeccable), Hazel Court est une Elizabeth convenable, et Christopher Lee aurait probablement pu camper un monstre aussi mémorable que celui de son illustre prédécesseur si le scénario lui en avait laissé la chance. Hélas, la créature n'est ici qu'une brute sanguinaire sur le sort de laquelle il est difficile de s'apitoyer. Dommage que Lee n'ait jamais repris le rôle par la suite. Dans l'ensemble, le film est bien fait, il se laisse regarder avec plaisir, mais n'atteint pas franchement des sommets.
A noter que le titre français stupide tend à accroître la confusion qui règne entre le monstre et son créateur.
2) THE REVENGE OF FRANKENSTEIN (La Revanche de Frankenstein, 1958, Terence Fisher). Il s'avère que le baron, censément guillotiné à la fin de l'épisode précédent, a en fait échappé à la mort, ce qui lui permet de continuer ses expériences dans une autre ville. Etabli sous le nom de Dr. Stein, il soigne gratuitement les pauvres, non par humanité mais parce que cela lui permet de récupérer les portions de corps dont il a besoin ("Il va falloir amputer, mon brave"). Avec l'aide de son assistant, Hans (Francis Matthews), il crée un monstre plutôt beau gosse et parfaitement sain d'esprit (Michael Gwynn), qui se change progressivement en tueur cannibale une fois que son cerveau a été endommagé au cours d'une bagarre. A la fin, Frankenstein lui-même est agressé par ses patients et laissé pour mort. Heureusement, son assistant réalise une transplantation de son cerveau dans un nouveau corps en patchwork, et le bon docteur peut aller s'établir à Londres (sous le nom de Dr. Franck).
Rare exemple de suite nettement supérieure au premier film, La Revanche de Frankenstein tient en haleine de bout en bout. Ce n'est sans doute pas évident dans le bref résumé que je viens d'en faire, mais le scénario est réglé au millimètre, la mise en scène de Fisher égale à elle-même, c'est-à-dire brillante, et l'interprétation fabuleuse. Cushing peaufine son personnage de baron froid, dépourvu de scrupules, et vous a de ces regards à faire froid dans le dos. La créature, cette fois, attire nettement plus la pitié que la révulsion. Un seul petit regret : la Hammer Girl de service, Eunice Grayson, n'a guère l'occasion de prouver son talent, car son rôle est réduit au minimum vital. Mais on ne va pas faire la fine bouche.
3) THE EVIL OF FRANKENSTEIN (L'Empreinte de Frankenstein, 1964, Freddie Francis). La catastophe. L'horreur. Le nadir. Après le quasi chef d'oeuvre qu'était le précédent, la chute est rude. Celui-là est un nanar, un vrai. Le fait que, pour la première fois, le maquillage du monstre (Kiwi Kingston) rappelle celui de Karloff ne suffit pas à masquer les invraisemblances du scénario. Cushing, vaguement sympathique dans cet épisode, fait son boulot avec conscience mais il ne parvient pas à éviter le naufrage. On s'ennuie, sauf quand on rigole, et la scène finale, où le monstre se saoule la gueule avant de faire sauter le château (avec quoi ???) serait digne de Mel Brooks si l'humour en était volontaire. Telle quelle, elle rappellerait plutôt les pires moments d'Al Adamson. Allez, soyons juste, il y a une idée vaguement intéressante : ayant engagé un hypnotiseur pour assener au monstre un choc mental intense afin de l'animer (!), le baron perd le contrôle de sa création au prodit dudit hypnotiseur, ce qui donne lieu à quelques rebondissements sauvant un peu le spectateur de la somnolence. Cela dit, ce film est sans aucun doute le plus mauvais de la série, et même une des plus mauvaises productions Hammer, point final. Quant à la Hammer girl de service, elle a encore moins à faire que dans le précédent, si bien que son nom ne figure même pas dans mon guide, et j'ai la flemme de le rechercher au générique.
4) FRANKENSTEIN CREATED WOMAN (Frankenstein Créa la Femme, 1967, Terence Fisher). Là, le niveau remonte en flèche. Malgré une idée de base discutable (il est possible de capturer l'âme au moment où elle quitte le corps d'un trépassé et de la transplanter dans une autre enveloppe charnelle), le scénario tient la route et se déroule sans accrocs. En outre, le film bénéficie de plusieurs scènes choc assez impressionnantes. Le baron de Cushing est, cette fois encore, plutôt sympathique, et flanqué d'un vieux toubib rigolo à la place du sempiternel jeune assistant, ce qui fournit un changement d'ambiance appréciable. Et puis surtout, il y a Susan Denberg.
Donc, en gros, trois jeunes nobliaux ivrognes tuent le père d'une jeune infirme et font accuser du crime l'amant de cette dernière, lequel est décapité. Elle-même, de désespoir, se jette à l'eau. Frankenstein récupère l'âme du premier et l'implante dans le corps de la seconde. En fait, les deux esprits semble cohabiter, et la belle n'a rien de plus pressé que de venger ceux qu'elle aimait en assassinant les trois godelureaux, à la suite de quoi, elle se rejette à l'eau. Simple et de bon goût. Et puis surtout, si je ne l'ai déjà dit, il y a Susan Denberg. Cette pauvre fille a très peu tourné et a fini très jeune dans la débine la plus totale avant de disparaître. C'est un scandale ! Au début du film, elle joue une boîteuse défigurée, et elle se débrouille quand même pour être magnifique. Après sa résurrection, Frankie lui ayant gentiment corrigé ses défauts, elle se révèle absolument superbe. Et il n'y a pas que le physique : elle est crédible d'un bout à l'autre dans son rôle. Celui de la plus jolie créature de Frankenstein de l'histoire du cinéma. A mon avis, un des deux sommets de la série.
5) FRANKENSTEIN MUST BE DESTROYED (Le Retour de Frankenstein, 1969, Terence Fisher). Ce volet-là retrouve un peu l'esprit de "Revenge of Frankenstein", à savoir que le baron y est présenté comme une franche crapule : il contraint son jeune assistant à l'aider par un chantage ignoble, n'hésite pas devant le meurtre de sang-froid et, dans une scène qui frôle le contresens pour cet homme de science détaché des plaisirs terrestres, va jusqu'à violer la fiancée dudit jeune assistant (Veronica Carlson). Cushing est absolument fabuleux. Tout autre que lui en ferait des tonnes : il demeure d'une sobriété glaçante. Le scénario, en dehors de la scène déjà signalée, est bien écrit, malgré une ou deux invraisemblances, et on ne s'ennuie pas une seconde. Ce coup-ci, Frankie ne crée pas de monstre mais se contente d'une transplantation de cerveau, si bien qu'il est pour la première fois "détruit" par une créature au moins aussi intelligente que lui et en pleine possession de ses moyens. Veronica Carlson est bien mignonne mais un brin fade, surtout en comparaison de Susan Denberg. (Oui, d'accord, on va le savoir.) Bref : un bon moment mais, en dehors de l'interprétation de Cushing, sans génie.
6) HORROR OF FRANKENSTEIN (Les Horreurs de Frankenstein, 1970, Jimmy Sangster). Ce volet-là est totalement en marge de la série. Pour tenter de renouveler le filon, la Hammer écarte Peter Cushing et donne le rôle du baron au jeune Ralph Bates. Veronica Carlson, toujours aussi fade, reprend quant à elle du service en Elizabeth. Le scénario semble adapté librement du bouquin.
Horror of Frankenstein a la réputation d'être une sous-merde. Je ne suis pas d'accord du tout. Oh, bien sûr, l'histoire est sans surprises, mais en dehors de cela, le scénario, immoral à souhait, est parfaitement réjouissant. Après avoir buté ou fait buter la quasi-totalité des autres personnages, Frankie n'a même pas le moindre ennui ! Ralph Bates compose un baron cynique, dépourvu de tout sens moral, et pourtant vaguement sympathique. Bien que cette chère Elizabeth fasse tout pour tomber dans ses bras, il n'en a strictement rien à foutre d'elle et plutôt que de l'épouser ou même d'en faire sa maîtresse, il l'engage comme gouvernante. Il faut dire qu'il a dans son pieu Kate O'Mara, laquelle a nettement plus de charme que la Carlson : son personnage de servante-maîtresse elle aussi sans scrupules est un des grands atouts du film. Tout comme le pourvoyeur de cadavres alcoolique et rigolard de Dennis Price. Le monstre, lui, n'est qu'une brute stupide et antipathique, mais il est joué par David Prowse, Mr. Darth Vader himself, ce qui est rigolo.
Bref, une rupture de ton totale, qui préfigure le Frankenstein de Warhol/Morrissey et les délires de Franco et autres. Un brin nanaresque, certes, mais on aime ça, non ?
7) FRANKENSTEIN AND THE MONSTER FROM HELL (Frankenstein et le Monstre de l'Enfer, 1973, Terence Fisher.) Pour ce dernier volet, un Peter Cushing vieilli revient à son rôle de prédilection. Frankenstein, incarcéré dans un asile d'aliénés, est parvenu à en devenir le médecin-chef (il y a une raison logique à ça) et poursuit ses expériences. Malgré le titre, aucune créature surnaturelle en vue : un simple monstre fait de bric et de broc, comme d'ordinaire. L'histoire est fort bien montée, Cushing assure toujours comme une bête en baron plutôt sympathique quoiqu'un brin obsédé par son art, Shane Briant est un assistant compétent, et la charmante Madeline Smith compose un émouvant personnage d'assistante muette. Quant au monstre, c'est une nouvelle fois David Prowse qui l'incarne, mais avec un maquillage totalement différent de celui qu'il portait dans le film précédent, si bien qu'il est encore méconnaissable (mais ce type a-t-il jamais joué avec sa vraie tête?). Jamais la créature de Frankenstein n'a eu un aspect aussi bestial.
Une conclusion remarquable à un cycle, dans l'ensemble, d'une fort bonne tenue.
Donc, bilan des courses : trois très bons films, trois autres très honorables, et une daube. Pas si mal. A vue de nez, mieux que la série des Dracula, qui fera l'objet d'une prochaine chronique si j'en ai le courage un de ces jours.