LE MONSTRE DE LONDRES
Genre : lycanthrope botaniste
Fiche technique
- Werewolf of London (1935)
- USA. Titre alternatif : Unholy Hour. Durée : 75. Noir et blanc.
- Réalisation : Stuart Walker. Scénario : Robert Harris, John Colton et Harvey Gates.
- Interprétation : Henry Hull (Dr. Wilfred Glendon) ; Warner Oland (Dr. Yogami) ; Valerie Hobson (Mrs. Lisa Glendon) ; Lester Matthews (Captain Paul Ames) ; Lawrence Grant (Sir Thomas Forsythe, chef de Scotland Yard) ; Spring Byington (tante Ettie Coombes) ; Clark Williams (Hugh Renwick) ; J.M. Kerrigan (Hawkins, l’assistant) ; Charlotte Granville (Lady Alice Forsythe).
- Producteurs : Stanley Bergerman, Robert Harris et Carl Laemmle Jr.. Musique : Karl Hajos. Maquillage : Jack P. Pierce. Effets spéciaux : John P. Fulton.
Revue : Marc Madouraud
Commençons tout d’abord par avoir une pensée émue pour les scénaristes de films de loups-garous. En effet, composer l’intrigue d’un spécimen de lycanthropus filmus laisse encore moins de liberté que pour une histoire de vampires. Jugez un peu. Au départ, le héros, brave gars souvent sympathique, se débrouille toujours pour se faire mordre par une sorte de bestiau pas identifiable, surgi de la nuit et fort velu (je suis velu, j’ai vu, j’ai mordu). Après un laps de temps plus ou moins court, il commence à comprendre qu’il est l’épicentre de phénomènes bizarres : il mouille sa culotte, ses seins gonflent… euh non, excusez-moi je me suis trompé de film. Reprenons : les nuits de pleine lune, des poils lui poussent de partout, des canines acérées surgissent des gencives, il déchire son beau pyjama offert par sa môman et va courir dans l’obscurité à la recherche de jeunes filles aguichantes et si possible peu vêtues (ce qu’elles foutent dehors à cette heure-là est un autre aspect du problème, mais dénote amplement du j’menfoutisme de leurs parents, qui doivent penser : si j’me la fais zigouiller par un monstre, je demanderai à la maison de production de m’en offrir une autre, c’est pas ça qui manque ici les starlettes). Ce comportement asocial finit par se savoir dans son entourage, et c’est alors le chœur du désespoir chez sa fiancée (pas très chaude à l’idée de mettre un jour au monde des bambins-garous), ses amis, ses parents, ces collègues, etc. Imaginez l’angoisse de ses proches (sa mère : « j’aurais préféré qu’il soit pédé et sidaïque, ça l’aurait moins foutu mal dans le quartier ! Qu’est-ce que je vais dire la prochaine fois que je vais faire les courses ? ») Et tout finit immanquablement par la rencontre inopinée et néanmoins fatale entre l’olibrius à fourrure et une balle en argent qui passait innocemment par là, déterminant la mort du dit olibrius et son retour à une forme plus humaine.
Nous mesurons là l’ampleur de la tâche. Et comme Le Monstre de Londres, ici présent, incarne précisément un des premier fleurons du genre lycanthropien, il ne faut pas s’attendre à une originalité effrénée.
Après un générique dont la musique nunuche nous interpelle fortement sur la pertinence de sa présence dans un film d’épouvante, nous débarquons brusquement dans un camp au Thibet, où des Asiates s’agitent dans tous les sens. Au fond, quelques monticules rocheux découpés en strates rappellent beaucoup plus les montagnes de l’Ouest américain que l’Everest, mais les producteurs entendaient probablement projeter leur film devant un public de beaufs, et pas devant Alexandra David-Neel. Deux explorateurs, le Dr Glendon (Henry Hull, pour plus de commodités nous l’appellerons Riton) et son assistant Hugh, y accueillent un vieux sage qui vient de débarquer sur son yack. Règle n° 1 du fil d’aventures tibétain : il doit toujours y avoir un vieux sage, bridé ou non, qui prévient à mi-mots le héros du destin tragique qu’il se concocte s’il persiste dans son idée (conseil jamais suivi par le héros, qui n’en a rien à foutre des vieux glands) et qui lâche tout aussi infailliblement une phrase qui permet de jauger l’étendue de sa sagesse. Ici, la phrase de la mort qui tue, c’est : « Vous êtes fou. Mais sans folie, il n’y aurait pas de sagesse ». Ouah !
Mais Riton n’en a cure, et, dès qu’il apprend l’existence d’une vallée inconnue toute proche, il s’y rue avec son acolyte. Après avoir péniblement traversé la montagne (i.e. trois rochers bordés d’arbustes) et enduré d’étranges phénomènes paranormaux (l’un ne peut plus lever les jambes pendant une minute, l’autre reçoit un coup d’un adversaire invisible, sans que l’on sache par la suite la raison de ceci – CDLS !), Riton arrive – tout seul ! – à une sorte de clairière, où trône une grosse fleur assez moche, qui constitue le but de son voyage du fait de sa rareté (il aurait pas pu se contenter d’aller cueillir des Edelweiss en Autriche, non ?) Il va cueillir le damné végétal, mais se fait agresser par une créature étrange, humanoïde et velue, qui l’observait. Cruellement mordu au bras, il parvient à donner un grand coup de serpette à l’animal, qui se sauve en glapissant Kaï kaï.
Pouf ! Retour à Londres dans le laboratoire de Riton. Le savant, en blouse blanche aux manches relevées qui permet d’apercevoir la blessure au bras, a installé la fleur au beau milieur du labo, lequel respecte à la lettre toutes les lois de Strickfaden pour un tel endroit. Dans un coin, un arc électrique se tortille vaillamment (j’ai jamais compris l’utilité d’un arc électrique dans autant de films des années 30/40, même si Michael Gough s’en servit plus tard pour trucider un importun dans Crime au musée des horreurs), un gros projo futuriste inonde la fleur de lumière, alors qu’un petit gyrophare tournoie sans arrêt : le décor est posé, et bien posé. Mais une pimbêche survient, la femme du savant (Valerie Hobson, qui venait déjà de se taper Frankenstein dans son film précédent et qui a dû par la suite se réfugier chez les Carmélites après tant de malheurs, la pauvre), la fière Lisa. Après l’avoir appelé Wilfred (vous voyez que j’ai raison de le surnommer Riton), elle lui reproche de rester reclus dans son labo ; de guerre lasse, le savant accepte de sortir dans le jardin botanique attenant, où une soirée a été organisée, pleine de vieux croutons solennels et de redoutables rombières (dont Spring Byington, en tantine de Lisa).
Pour amuser les invités, une démonstration de plantes carnivores bat son plein : l’une gobe des mouches, l’autre des grenouilles, mais aucune n’est assez grosse pour bouffer toutes les mémères insupportables qui infestent les lieux. Dommage. Lisa, elle, oublie son rabat-joie de mari en retrouvant son ami d’enfance et premier amour, Paul Ames (Lester Matthews, passablement ridicule), célèbre aventurier ; cette rencontre est considérée d’un sale œil par Riton, torturé par un début de jalousie. Mais l’arrivée d’un étrange individu le détourne de ses tristes pensées : le docteur Yogami, un asiatique bedonnant (le suédois Warner Oland, visiblement pas fatigué d’interpréter des rôles d’orientaux après Fu Manchu et Charlie Chan). Il se présente d’une drôle de façon, en assurant avoir croisé son honorable interlocuteur au Tibet, « brièvement dans l’obscurité ». Là, le spectateur avisé, dont vous êtes, se la joue finement : il aurait pas quelque chose à voir avec le loup-garou du début, ce jaune personnage (comme dirait Clouseau) ?
Toujours est-il que les deux docteurs se mettent à deviser, et Yogami, au lieu de parler de la pluie et du beau temps, comme n’importe quel vrai Anglais n’aurait pas manqué de le faire (d’où on déduit, si on avait été assez borné pour ne l’avoir pas précédemment remarqué, qu’il s’agit d’un étranger), commence à discourir sur la lycanthropie. L’oriental gominé (car si Oland avait eu une coupe militaire, il aurait fallu l’appeler Warner Brosse) assure que, sans le secours de la fameuse fleur, baptisée Mariphasa Lumina Lupina, les victimes de cette maladie sont condamnés. Puis il repart, sans avoir eu l’autorisation de contempler la découverte de Riton. Celui-ci reprend ses expériences sur la Trucbidula Machina Jenrajoutepa ; probablement sensible à l’atmosphère morbide générée par le végétal, l’assistant profère un sentencieux « Cette plante n’est pas humaine », ce qui bouleverse totalement les certitudes du spectateur en matière de botanique et de zoologie, mais qui laisse froid son patron. Grâce à la lumière artificielle qui simule la clarté lunaire, il arrive à faire éclore un bouton. Alors que ses mains commencent à se recouvrir d’une toison inesthétique (« merde, se dit-il, comment vais-je pouvoir me mettre en maillot cet été sur la plage ? »), Riton s’empresse de se piquer avec la fleur fraîchement éclose et, comme par magie, les poils régressent et rentrent, tout honteux, dans leurs pores d’origine.
N’importe quel savant digne de ce nom serait fou de joie d’avoir trouvé un tel produit épilatoire, qui pourrait être vendu à prix d’or à tous les Yves Rocher du monde : pas lui. Le docteur Yogami revient à la charge, et se fait à nouveau éconduire, non sans avoir prévenu le goujat des méfaits de la lycanthropie (décidément, c’est à endurer avec modération, ce truc-là) : si le valétudinaire n’est pas soigné temporairement par la fleur, il est forcé de prendre une vie humaine, et choisira celle qu’il chérit le plus. Un peu plus tard, dans la nuit, les deux autres boutons qui avaient éclos sont volés par une main anonyme (vous me direz, les mains ont rarement un nom).
Nuit de pleine lune… Alors que sa femme est partie en soirée à Londres avec le beau Paul comme chevalier servant, Riton commence à subir sa première transformation en loup-garou. Le résultat n’est propre à ravir que les fans de Jack Pierce : oreilles pointues, dentier inférieur saillant, du poil partout. Et plus de fleur éclose pour inverser le processus ! Ne trouvant rien de bien à zyeuter à la télé (« Danse avec les loups » n’ayant pas été encore tourné), il se dit comme ça : et si j’allais régler leur compte à bobonne et à son gigolo ? Sommairement habillé façon Shadow, le voilà parti à travers Londres, jusqu’à la demeure de la tantine, où se déroule la soirée ; Paul et Lisa sont déjà arrivés, tout comme le docteur Yogami qui n’a décidément rien à foutre dans son emploi du temps. Émule d’Edlinger, notre loup-garou escalade la façade – il est tellement bête qu’il ne s’est pas aperçu que la fête se tenait au rez-de-chaussée – en poussant force hurlements et ne réussit qu’à faire peur à Spring Byington, qui cuvait son punch. Tantine crie au loup, mais comme il n’y a plus personne près d’elle, les autres invités croient seulement qu’elle est méchamment beurrée. De dépit, Riton se tapit dans un coin, dans une rue adjacente, et déchiquète (enfin on le voit juste se jeter dessus) une belle blonde qui passait par là.
Le matin suivant, Scotland Yard est sur le pied de guerre… Ce qui se résume à parloter à plusieurs dans le bureau du grand chef, dont le neveu n’est autre que Paul (il est décidément partout, ce lâche suborneur de femme mariée). Et là, premier gros manquement aux règles sacro-saintes du film de loup-garou : normalement, aucun personnage dit normal de ce type de film n’est disposé à accepter la théorie de la lycanthopie, même si on lui en met un spécimen sous le nez, et voilà que Paul, ce gros bêta, met carrément les pieds dans le plat ! Mais son oncle n’est pas disposé à le suivre sur cette pente savonneuse. A la maison Glendon, scène au petit-déjeuner : Lisa est persuadé que son mari cache quelque chose, mais ce dernier nie farouchement. Pour ne pas risquer de blesser sa bien-aimée, le soir venu, il s’enfuie dans un quartier miséreux et loue une chambre sordide – prétexte à quelques scènes humoristiques entre de vieilles poivrotes, à l’humour aussi percutant qu’aussi mal venu en une telle intrigue. Cela ne suffit pas : une fois transformé, il défonce la fenêtre et gagne un zoo où, primo, il délivre un vrai loup pour lui faire endosser ses crimes (ça ne marchera pas), et, secundo, zigouille la maîtresse du gardien qui passait justement par là (et hop, un adultère de puni !)
Le Yard reste sur ses positions : le docteur Yogami a beau offrir son aide et demander aux autorités qu’on protège la Jesaispuquoi Etagada Ratata afin de la cultiver ultérieurement (ce qui permettrait de soigner à l’avenir tous les pauvres lycanthropes errant dans Londres, dussions-nous recourir pour cela à l’organisation d’un grand Lycanthroton pour recueiller des fonds), il se fait encore jeter – il commence à avoir l’habitude, décidément tous ces Anglais sont des racistes avérés. Au labo de botanique, Riton est attéré : le nouveau bouton de la fleur se refuse à éclore, et la nuit va arriver ! Il va alors se réfugier à la campagne, dans le château de famille de sa femme, dans une chambre duquel il se fait enfermer. Hélas, la fatalité (qui a bon dos, messieurs les scénaristes) amène Paul et Lisa dans les environs, sous le fallacieux prétexte de revoir le terrain de leurs jeux enfantins (ce serait pas plutôt pour des galipettes dans le tas de paille, bande de petits salopards ?) Apercevant le couple dans le parc, le loup-garou –eh oui, la nuit est tombée – arrache les barreaux, saute par terre et effraie son épouse. Une bagarre avec Paul s’ensuit, où il se fait bêtement assommer (tordre des barres de fer pour ensuite se faire mettre K.O. par le premier trouduc venu, ça classe pas son loup-garou dans le haut du hit-parade lycanthropique, ça).
Revenu à Scotland Yard (il a l’air d’en bien aimer l’air vivifiant), Paul assure à son oncle qu’il croit avoir reconnu le coupable : le docteur Riton en chair et en os (avec des poils autour). Le chef d’abord incrédule, apprend alors la découverte d’un troisième meurtre, dans la chambre d’hôtel du docteur Yogami ! Nous comprenons alors que l’asiatique, à court de fleur, s’est transformé à son tour et a commis l’irréparable… Mais, dans le labo, une nouvelle fleur est prête à éclore : Riton est devancé par le fourbe Yogami, qui la cueille et se soigne avec ; mal lui en prend car son adversaire, lycantropisé puisqu’il n’a pu se servir de la fleur, se rue sur lui et l’étrangle (ben mon vieux, ça sert à quoi d’avoir des canines proéminentes si tu peux même pas mordre avec ?) Ne voulant pas en rester là, le savant poursuit sa femme dans sa propre maison. Après un intermède qui lui permet d’assommer Paul – ça lui pendait au nez – il accule Lisa dans un escalier. La belle, qui n’a pas l’air de trouver la bête franchement folichonne, le supplie de se rappeler qu’elle est sa légitime (eh ma grande, t’y pensais quand t’allais baguenauder avec ton bellâtre ?)
Au moment où le lycanthrope va peut-être entendre raison, la cavalerie arrive par derrière sans bruit (normal, une dizaine de policiers qui défoncent une porte, c’est particulièrement silencieux, tout le monde le sait) et le chef du Yard – qui décidément sait s’investir sur le terrain – lui loge une balle dans le dos. Second manquement aux lois lycanthropiques : elle n’est même pas en argent ! Et pourtant le loup-garou s’abat au pied de l’escalier. Il a juste le temps de remercier son bienfaiteur (« merci pour la balle, c’était la seule solution ») et de s’excuser auprès de sa femme, avant de mourir et de reprendre la tête de Henry Hull. Fin.
Triste. Pas la fin, mille fois attendue, mais le déroulement du film, de plus en plus lénifiant. Après un début nanardeux à souhait, tant dans le décor que dans l’obstination scénaristique à ne pas suivre les pistes parallèles qui s’offrent (les phénomènes paranormaux au Tibet, les plantes carnivores non exploitées), l’histoire s’enlise dans la routine, rappelant avec mollesse à la fois Jack l’éventreur (les meurtres londoniens) et Jekyll and Hyde (la transformation du brave docteur en hideux assassin). L’interprétation, honnête sans plus, ne relève pas le niveau : Henry Hull, qui fut plus tard un excellent second rôle, possédait le charisme d’une bûche de Noël ressortie du frigo à Pâques, et Oland, totalement inexpressif, n’évoquait guère plus qu’un Chinois d’opérette. Et je ne parle même pas des trahisons aux règles du genre, absolument inacceptables pour les puristes. Évidemment, le charme des années 30 opère quand même, mais on peut rêver à ce qu’aurait donné le film avec un peu plus de conviction de la part de tous ses participants.