LORNA, LA LIONNE DU DESERT

Genre : mercenaires d'un con (!)

Fiche technique

Revue : Michel Pagel

D'abord, détruisons une légende. Contrairement à ce qui a pu être écrit ici ou là, et bien qu'on retrouve dans de petits rôles certains de ses acteurs fétiches de l'époque Eurociné, Jess Franco n'est pour rien dans le présent chef d'oeuvre. A.M. Frank était un pseudo collectif, qu'il utilisa parfois mais pas ce coup-là. Je tiens le fait d'Alain Petit, qui doit savoir de quoi il cause, vu qu'il a écrit le scénario. (Dieu du ciel ! J'espère que ça n'a pas pris plus de dix minutes, sinon c'est une catastrophe. Et même, d'ailleurs…) Parmi les suspects possibles, mon favori serait Pierre Chevalier, mais c'est pure médisance de ma part car je n'ai aucune idée de l'identité du réalisateur.

Commençons par quelques remarques valables pour la totalité du film : la mise en scène est alternativement statique et brouillonne, on zoome sur tout et n'importe quoi n'importe quand. Le montage est… Quel montage ? Les acteurs… bouh là là ! Y en a pas un qui réussisse à dire son texte sans chantonner (faut dire qu'avec un texte pareil… vous allez juger).

Tout commence par une réunion au sommet entre un Arabe (Yul Sanders) qu'on imagine émir, ou quelque chose comme ça, et les cadres d'une société pétrolière française, parmi lesquels notre vieux pote Olivier Mathot, qui est selon moi le plus mauvais acteur du monde. Visiblement, ces gens-là ne se mettent pas d'accord sur le prix du pétrole que l'un vend aux autres et la réunion se termine en eau de boudin. Sanders s'en va et, vous allez rire, on ne le reverra plus. C'est dommage, parce que c'est le seul acteur du film qui puisse raisonnablement passer pour nord-africain : tous les autres Arabes sont visiblement des Européens enturbannés.

Les cadres, pas contents, semblent méditer de sombres projets. Là dessus, on a droit à un plan de démolition d'immeuble, pas vilain mais sans le moindre rapport avec l'action qui nous occupe. On enchaîne sur un type qui saute en parachute dans un pays d'apparence tropicale. Il rejoint un autre avion (j'imagine que le premier n'avait plus assez d'essence) qui s'envole, pour aterrir à l'image d'après dans une autre région tropicale, qui pourrait aussi bien être la même (ce qui est d'ailleurs sans doute le cas). Notre héros (car c'est lui) prend ensuite un gros navion qui l'amène jusqu'en France. Il s'appelle Richard Benson (Richard Harrison). C'est un mercenaire : la quarantaine, la moustache, le bedon, la calvitie précoce. Un véritable Apollon. Il rencontre Olivier Mathot, qui l'a engagé pour remplir une mission dont on ne nous dit pas ce que c'est, histoire de préserver le suspense. En revanche, on a droit à ce dialogue impérissable :

Mathot : Vous avez du pain sur la planche.
Benson : Ça vaut mieux que d'être dans le pétrin.

Une fois leur franche hilarité calmée, les deux compères continuent de causer et nous la jouent Mission : Impossible. Mathot, notamment, explique à Benson que lui et ses hommes seront seuls sur le terrain, et que donc ils ne pourront compter que sur eux-mêmes, et qu'en plus, vu qu'ils ne pourront communiquer avec personne, il faudra qu'ils s'en sortent par leurs propres moyens. (Je n'exagère pas.) Ils se serrent la main (zoom sur la main, avec musique lourde de signifiant. Ceux qui devinent ce que ça prépare n'ont pas grand mérite.)

L'action nous transporte alors dans un grand hôtel d'un pays tropical (le même qu'avant, vous croyez ?). Ça doit être plein d'Arabes, ce pays, mais on n'en voit pas un seul. Quand Benson arrive, il est immédiatement repéré par un petit gros, Chris, et un blondinet, Hansen, lequel téléphone à une jolie blonde, Lorna (Florence Cayrol, la pire actrice que j'aie jamais vue après Chesty Morgan et Mimi Coutelier) qui déclare qu'elle s'en occupe. Elle rejoint Benson dans sa chambre, on s'aperçoit que ce sont d'anciens amants, et on a droit à la scène de cul torride numéro un, ce qui nous permet de constater que Lorna a un bleu sur la fesse droite (c'est d'un érotisme !).

Elle : Tu m'excites.
Lui : Je suis là pour ça. (Très romantique, comme garçon.)
Un peu après, on les retrouve dans un taxi, très amoureux.
Elle : Tu te souviens de notre première rencontre à Paris ?
Lui : Comme si c'était hier.
Elle : Ah ! Paris sera toujours Paris.
Lui : Et réciproquement.

Rigolez pas : c'est avec des dialogues comme ça qu'on rentre dans l'histoire. D'ailleurs juste après, quand Lorna lui demande de l'épouser, car comme toutes les femmes, elle ne rêve bien sûr que d'être ménagère, Benson a cette réponse délicate : "Je t'aime bien mais j'ai besoin d'aventure."

Alors qu'on se demande s'ils ne vont pas se resauter dessus sur la banquette arrière, le chauffeur se retourne, braque un pistolet sur eux et leur annonce qu'il les emmène chez son patron, lequel compte les trucider. Il fait ça au tout début de la course, si bien qu'il est obligé de parcourir je ne sais combien de kilomètres en regardant alternativement la route et ses prisonniers, ce con. Heureusement, les prisonniers sont encore plus cons, car ils n'en profitent même pas pour tenter quelque chose. Le taxi s'arrête près d'un canal ; deux autres types arrivent. Là, Benson réagit et commence à castagner pendant que Lorna s'enfuit et… saute dans le canal après avoir assommé un des types. Benson achève les deux autres et, sans les fouiller ni chercher à les faire parler ni tenter de retrouver sa copine, se barre avec le taxi. Et pouf, on le retrouve au lit avec Lorna. Visiblement, cette scène a été tournée en même temps que la scène de cul, vu qu'ils portent les mêmes vêtements. Ils ne tardent pas à descendre au bar, où ils demandent évidemment des Martini Dry.

Là-dessus, ils sont rejoints par Chris, Hansen et un certain Paul, un grand sec grisonnant. Surprise, ce sont tous les équipiers de Benson. On se demande un peu pourquoi ils n'ont pas pris contact avec lui la première fois mais ça doit être dans le script. "On est tous au complet !" s'exclame Lorna, qui ne craint pas les pléonasmes, avant d'ajouter : "Moi, je pense qu'ils sont tous charmants, hi hi hi…"

Quand ils sortent de l'hôtel, Paul tend le bras vers la gauche de l'écran et déclare : "C'est par là !". Ensuite, ils montent en voiture et ils partent dans la direction opposée. Ça a l'air impossible, des erreurs pareilles, mais je vous jure que c'est vrai. Un chef d'oeuvre ! Tandis qu'ils roulent dans la riante nature, ils échangent quelques réflexions sur les mérites comparés de la choucroute et du couscous, et la belle se plaint d'être au régime.

Retour à l'hôtel : deux types patibulaires qui prétendent être de la police investissent la chambre de Benson et retournent tout. Ils ne trouvent rien et s'en vont très colère, bousculant les serveurs du restau d'en bas, lesquels protestent avec des intonations de grandes folles, ce qui inspire à un flic l'exclamation suivante : "Je te dis qu'y a des pédés partout !".

Nous retrouvons nos héros en barque sur la mer. (Lorna : "Si on se baignait ? Moi, je me baignerais bien…") Paul désigne la berge et déclare deux fois de suite : "C'est là que Louis nous attend". Ils débarquent. Alors, je rappelle : ce sont des mercenaires super entraînés qui se rendent en pays hostile pour une mission pas précisée mais sans doute dangereuse. Quel serait votre premier réflexe, vous, dans ces cas-là ? Vous vous mettriez à poil pour aller courir sur les dunes ? Moi non plus, mais Lorna si. Et vas-y que je gambade dans le sable dans le plus pur style Melody in Love, avant de finir par jouer les sémaphores en haut d'un rocher. Comme Florence Cayrol est assez choucarde, ce serait agréable à l'oeil si on réussissait à arrêter de rire.

Nos vaillants aventuriers qui, à partir de là, déambulent pendant tout le film comme s'ils étaient en vacances, sont effrayés par un cri d'oiseau (super entraînés, on vous dit), puis rejoignent leur copine — qui en profite pour avoir cette pensée philosophique imparable : "Les Arabes, ils ont du pétrole mais pas d'idées"). Là, rafale de mitraillette. Hansen prend une balle dans la fesse droite. Un groupe de vilains Arabes (six, au moins) se montre et leur ordonne de lâcher leurs armes. ("Lorna, remets ta robe, y a du monde" lance un des zozos.) Une fois qu'ils sont désarmés, nos héros réagissent : Benson prend le chef en otage. Les autres jettent leurs armes. Et, puisque c'est la coutume, dès qu'ils sont désarmés et les héros réarmés (vous me suivez ?), ils réagissent à leur tour. De toute façon, on se fout de savoir qui est armé vu que personne ne tire un coup de feu. Belle démonstration de kung-fu en petite culotte par Florence Cayrol.

Une fois tous les méchants assommés (on ne les tue pas, on ne les attache pas, on ne les interroge pas, on ne leur pique même pas leur radio), tout notre joli monde reprend sa balade en racontant des blagues à trois balles. Enfin, ils tombent sur leur contact, Louis (type colonial à moustache) et tous partent dans une espèce de grande jeep. (Lorna : "C'est extra, avec un soleil pareil, on va bronzer…" Je pense que c'est censé être de l'humour.)

Cette scène est entrecoupée de plans d'un des Arabes, réveillé, qui avertit ses supérieurs grâce à sa radio. Seul problème, ces plans-là sont tournés de nuit, alors que de l'autre côté, on a droit à de longues vues du désert accablé de soleil (avec de la musique céleste en fond sonore). Nos héros font la pause. Hansen a très mal au cul.

Lorna : "Tu veux un antalgique ?"
Hansen : "Non."
Lorna "Tu veux un anti-inflammatoire"
Hansen : "Mais non, je te dis."
Lorna : "Alors un anti…"
Hansen : "NON !"
Lorna : "Alors change au moins de pantalon, celui-là est plein de sang."
Hansen : "Bon, d'accord."

Que le ciel me tombe sur la tête si j'invente un seul mot de tout ça. Après quelques considérations sur l'économie mondiale et la rapacité des producteurs de pétrole, Chris a cette parole totalement à propos pour le pauvre Hansen : "Ici, c'est pas l'armée, y a pas de tire-au-cul".

Louis, le seul à réfléchir un peu, apparemment, demande aux autres pourquoi ils n'ont pas tué les Arabes qui les avaient attaqués. On apprend alors que ni les uns ni les autres, ils ne seraient capables de tuer des hommes désarmés. (Rappelons qu'il s'agit de mercenaires, des gens qui font la guerre pour de l'argent. Enfin, bon, ce que j'en dis…)

Benson sort ses jumelles. Plan à travers lesdites : l'Arabe à la radio, qui devrait pourtant se trouver à des dizaines de bornes de là, et qui est toujours filmé de nuit alors qu'il fait grand jour. Le spectateur le voit parfaitement, mais Benson apparemment pas.

Notre grand chef a alors l'idée du siècle. Persuadé que les Arabes vont attaquer en plus grand nombre que la fois précédente, il décide qu'il faut enterrer armes et munitions et se rendre. Mieux vaut être capturé que tué. Ça pourrait se défendre, mais attendez de voir.

Effectivement, les méchants arrivent en nombre : au lieu d'être six, ils sont six (les mêmes, je suppose). Lorna parle leur dialecte (sic) mais ça ne sert pas à grand chose, vu qu'elle ne traduit rien de rien. Nos héros les accompagnent jusqu'à leur campement où ils sont introduits auprès d'un nouvel émir, à qui ils tentent de faire croire qu'ils sont des touristes. Quoique ce soit relativement vraisemblable, compte tenu de leur nullité, l'émir ne les croit pas et fait enfermer les cinq hommes dans la même tente, pieds et poings liés. (Benson : "Il est parfois mieux d'être dans le caca que d'être dans le caveau.") Quant à Lorna, il l'emmène sous sa tente à lui et lui fait bouffer des raisins (L'émir : "Les raisins du plus fort sont toujours les meilleurs." si, si.) avant de la posséder sauvagement. (Scène de cul torride numéro deux, apparemment pas mal coupée dans la version que j'ai visionnée). Notre héroïne, pas spécialement bégueule mais soucieuse de sa mission, poignarde son amant (autant pour être incapable de buter des gens désarmés, semble-t-il). Pendant ce temps-là, Benson réussit à se défaire de ses liens (noooon ?), délivre ses camarades, et tout le monde s'échappe.

C'est là que se situe à mon avis la grande astuce du scénario, ce qui en fait tout le prix : Qu'est-ce qu'ils font, à votre avis ? Je vais marquer ça en capitales, pour être sûr : ILS RETOURNENT DETERRER LES FLINGUES ET ILS ATTENDENT QUE LES ARABES LES ATTAQUENT. On aurait commencé par là, on gagnait un quart d'heure, bordel ! Splendide scène de combat. Nos héros, debout autour de la jeep, font de superbes cibles sur lesquelles aucun des assaillants (cette fois nettement plus nombreux ; c'est d'une connerie à peine croyable) ne songe à tirer. Assaillants qui, eux, se font descendre comme des pigeons d'argile à la foire. Quand ils n'y en a plus, nos joyeux lurons remontent en voiture et partent pour voir un certain Dr. Farouk.

Justement, la scène suivante se déroule dans le cabinet d'icelui. Les deux flics du début (remember ?) en agressent l'assistant. Quand Hansen, tout seul, va voir Farouk, a priori pour faire soigner sa fesse blessée, il est reçu par les flics, qui le droguent et le font parler. Notamment, ils lui arrachent l'information que tout le monde doit aller le soir même à la grande tour du coin, pour des raisons qui ne seront jamais dévoilées.

Peu après, alors que les flics sont partis (et d'ailleurs, on ne les reverra plus de tout le film. Il est strictement impossible de savoir ce qu'ils foutaient là), le Dr. Farouk rentre chez lui. Apparemment, il fait partie du réseau, car il réveille Hansen. Tous deux partent séparément pour le lieu du rendez-vous.

C'est la nuit ; nos héros marchent jusqu'à la tour, dans laquelle ils rentrent comme des cons. Bien sûr, ils sont attendus. On leur crie de mettre les mains en l'air. Ils hésitent une seconde puis se planquent en désordre. Personne ne leur tire dessus. Eux, en revanche, tirent et descendent tous leurs adversaires, aidés en cela par Farouk, qui vient d'arriver. Comme ils se congratulent, une autre voix leur crie "Les mains en l'air." Ce coup-ci, parce que CDLS, ils lâchent leurs armes et sortent de l'édifice pour être confrontés à une bonne dizaine d'Arabes. Arrive Hansen, en jeep, qui dézingue tout le monde à la mitraillette, avant que nos zozos ne repartent vers de nouvelles aventures. Un plan ultra-bref de la nuit sur le désert.

La scène suivant se déroule au crépuscule, ce qui, à ce stade, n'étonne plus personne.

Les héros arrivent devant un machin qui ressemble à une raffinerie pétrolière. On apprend enfin en quoi consiste leur mission : faire sauter la chose.

BEnson : "Vous savez ce qui vous reste à faire ?"
Louis : "Ouais, tu nous l'as assez rabâché".

Ce qui est assez amusant vu qu'au contraire, il a passé le film à refuser de leur dire le moindre mot à ce sujet. Mais bon, on va pas commencer à s'angoisser pour des détails. Ils attendent la nuit. On a droit à une grande scène romantique entre Benson et Lorna qui échangent un tendre baiser sur fond de soleil couchant. C'est presque aussi beau que du Max Pécas. La nuit venue, nos héros s'introduisent dans la raffinerie et réussissent à poser tous leurs explosifs en n'ayant à assommer que deux gardes. BOUM! Tout ça explose à grand renfort de futs de pétrole incendiés, tandis qu'en fond sonore retentit la sirène des pompiers (juré, craché). Et c'est l'affrontement final : Les méchants Arabes poursuivent nos héros à pied et en hélicoptère. Hansen est tué. Chris est tué. Lorna… damnation. Lorna meurt héroïquement dans les bras de Benson, même que Florence Cayrol est tellement mauvaise qu'on ricane méchamment alors que c'est vachement triste, merde (d'autant qu'elle met une bonne minute à crever et que, pendant ce temps-là, les Arabes ont la gentillesse de cesser le feu).

Et l'action se transporte de nouveau en France. Benson dans le bureau d'Olivier Mathot. "Ils sont tous morts. Tous, jusqu'au dernier. (Mais on a pas eu assez de pellicule pour filmer la mort des trois autres.)" Visiblement, Mathot s'en fout : il congédie Benson puis (vous vous rappelez la poignée de main lourde de sous-entendus du début ?) décroche son téléphone et annonce à son patron qu'il procède comme prévu.

Et ce connard de Benson sort de l'immeuble tout content, juste à temps pour se faire descendre par des tueurs en bagnole. Fin.

J'espère avoir réussi à rendre à peu près la crétinerie crasse de cette production. On a parfois la vague impression d'une intention parodique, mais la nullité des vannes mises en jeu désamorce complètement le propos. Un véritable amateur de nanar ne peut pas vivre sans avoir vu celui-là. Du niveau de Plan Nine from Outer Space, pour le moins. Sans doute pire. Un des plus beaux fleurons d'Eurociné.

Michel Pagel

Note d'un internaute :
Je voudrais juste apporter une précision à votre article sur ce superbe film. Il semble, d'après le dictionnaire de Marco Giusti sur le bis italien ( Dizionario dei film italiani stracult) , que "Lorna la lionne du désert" soit une co-production franco-italienne titrée chez nos voisins "Strategia per una missione di morte" (et donc, classée comme un film italien!) . Le réalisateur en serait Luigi Batzella (alias Paolo Solvay ou Ivan Kathansky) surtout connu pour avoir réalisé l'un des films les plus atroces du genre porno-nazi, "La Bestia in calore" (Holocauste Nazi) Par contre, les scènes du début et de la fin avec Olivier Mathot et Yul Sanders auraient été tournées spécialement pour la version française, par quelqu'un d'Eurociné. Envoi de Nikita

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