Les hommes d'une autre planète

Genre : hystérie collective et heureusement masquée

Fiche technique

Revue : Pen of Chaos et C. Thill

Nous avons visionné ce film lors d'une soirée cinémathèque "SF venue d'ailleurs", couplé avec La mort vient de la planète Aytin, un autre grand moment de cinéma.

Tout d'abord, ouvrons sur le commentaire du prospectus : "Comédiens en état d'ébriété, réalisateur et techniciens hors de contrôle, scénariste échappé d'un asile : toutes les conditions sont réunies pour obtenir une oeuvre à part. Ce film de provenance douteuse (Corée ou Hong-Kong? [*]) est un monument d'hystérie et de débilité qui a déjà traumatisé quelques spectateurs hagards lors de son passage éclair au grand Rex".

[*] En fait, les caractères chinois sur les enseignes et la présence de l'aéroport de Taipeh identifient ce film comme étant d'origine taiwanaise.

Ils ne mentent pas, les bougres. Ce mélange de Sentai et de Kaiju teinté de Goldorak et faisant fi de toute considération scientifique, voire logique, est proprement hallucinant de bravoure. L'oeuvre a réussi à nous étonner, nous autres habitués du genre. Le Docteur Bis lui-même commenta en se remettant de ses émotions "Et bien, quand on croit avoir tout vu...".

Mais entrons dans le vif du sujet.

Tout commence par des gosses jouant au baseball près d'un temple (un démarrage très Sentai). La balle part se perdre dans la végétation, et le petit malchanceux de service est envoyé la chercher. Il trouve alors par hasard une grotte qui abrite la pierre sacrée (pas de bon film sans pierre sacrée!). La grotte est ouverte à tous les vents, et personne n'a vu cette pierre depuis des milliers d'années. Moi qui pensais que l'Asie était plutôt peuplée... Le petit perd connaissance, à cause des rayonnements.

On change d'endroit.

Nous voilà dans la maison d'un type dans le pur style "vieux sage", se reposant chez lui en triturant sa barbichette. Soudain, son émission de télé préférée est piratée par un individu costumé qui prétend venir s'emparer de la Terre. Il éteint en pensant qu'il s'agit d'une pub parfaitement idiote.

Malheureux ! Ne fais pas ça ! C'est déjà le premier contact avec les Martiens ! La terrifiante armée des envahisseurs se compose de :

- Un roi de l'Univers (type costumé "façon Stratéguerre" et masqué, avec une étonnante perruque de cheveux longs qui renforce sans aucun doute la crédibilité du personnage)

- Un général souffre-douleur (costumé de même, mais coloré de rouge et blanc, avec des cornes et des piquants de mousse aux articulations pour avoir l'air plus méchant) Ne résistons pas au plaisir de citer un échantillon de dialogue entre ces deux archi-méchants : "- Oui. - Oui qui, abruti ? - Oui, votre majesté !"

- Quatre soldats vétus de pyjamas noir, sans doute chargés de construire les bases et de piloter le vaisseau. On les verra très peu.

- Une soucoupe volante de plastique peint (qui fait "uiuiuiuiui" en se déplaçant)

Ces six personnages, en pleine conquête, exigent qu'on leur remette la pierre sacrée qui leur permettra d'asservir l'Univers, sans quoi il s'en vont tout saccager. Mais visiblement, personne ne les prend au sérieux (on se demande pourquoi, hein ??).

Retour près du gamin, qui s'éveille et s'empare d'une statuette de bois qui traînait dans la boue depuis les siècles des siècles. C'est une sorte de divinité thaï, avec gros yeux, grands crocs qui dépassent et costume folklorique. Notre Little Bouddha du pauvre s'en retourne alors chez lui en emportant la relique, qu'il donne à son oncle antiquaire (vous avez deviné, c'est le vieil homme à barbichette). Ils examinent l'objet et tombent dans le coma, victimes des radiations. Hop, deux personnages de moins.

Pendant ce temps dans la base spatiale, on s'inquiète. La soucoupe existe bel et bien ! C'est là que notre Actarus local et sa mijaurée (qui est la soeur du petit, ben oui) travaillent pour assurer la sûreté du territoire. Quand il est en service, notre (z)héros revêt une superbe combinaison dorée frappée d'un éclair qui veut certainement dire "c'est moi le chef". Le reste du temps, il arbore un costume estampillé seventies, blanc ou bleu selon le cas, avec pattes d'eph', col pelle à tarte et bottines à talons ; tout ceci, joint à sa coiffure genre raie très basse et gros toupet de tifs, lui donne un look à mi-chemin entre James Brown et Claude François.

Découvrant les corps de nos comateux, les héroïques défenseurs de la Terre s'emparent de la statuette et la passent aux rayons X afin d'en découvrir les secrets. A l'étonnement général, on apprend alors qu'il s'agit d'un dieu ancien, protecteur du peuple !

Lassés par le manque de coopération de la race humaine, le futur Empereur Des Univers Réunis et son général débarquent sur terre sous forme de géants (plusieurs étages) et saccagent comme ils avaient promis. L'empereur manie un redoutable sceptre rouge multi-fonctions qui lance plusieurs rayons différents selon son humeur, et qui sert de massue pour réduire en miette les buildings. Il ponctue chaque action par un rire dément et une agitation frénétique de sa masse capillaire, qui rappellera sans doute des choses aux fans des groupes de heavy metal des années 70. Le général quant à lui s'en prend aux arbres et aux voitures. Il va même jusqu'à renverser des poubelles ! C'est la panique, et le monde (un quartier presque complet) court à sa perte.

Le héros commentera cette scène de catastrophe : "On ne peut rien contre eux". Le spectateur qui suit un peu s'empresse de penser : "Mais... vous n'avez encore rien essayé !" Effectivement, ces gens costumés se contentent de scruter leurs écrans, les bras ballants et les sourcils froncés. Peut-être disposent-ils de tout un arsenal hyper-moderne dans leur repaire hi-tech bardé de boutons qui clignotent, d'interrupteurs à bascule et de cadrans de téléphone ? Qu'importe, les envahisseurs martiens s'approprient la Lune comme quartier général. Là, ils projettent de construire un rayon de la mort ! Ca ne se passera pas comme ça, on leur envoie "l'arme secrète". Un pilote chevronné se porte volontaire pour la mission-suicide : il s'en va vers la Lune après quelques sanglots, aux commande d'un engin spatial à l'efficacité douteuse, puisqu'il se fait piler en moins de 20 secondes par le sceptre et ses rayons coloriés à la va-vite. Drame. Re-sanglots. Panoramique sur les visages exprimant tant bien que mal douleur et consternation.

Le général sous sa forme humaine (dans la même tenue grotesque, mais à une échelle normale) s'empare de la pierre sacrée dans la grotte du temple, et revient avec force cabrioles triomphales apporter la dernière pièce du "rayon de la mort".

C'en est trop pour les Américains, qui, terrifiés, lancent un robot géant (en pyjama gris et rouge, avec un casque super profilé, un peu genre Ultraman) à l'assaut de la Lune. Mais la Statue du Temple grandit, du fait des bombardements de rayons X (ne riez pas bon sang, c'est pourtant logique). Notre Actarus met au point un système de téléguidage pour l'utiliser comme missile et l'envoyer sur la Lune. Il dira doctement : "Après tout, il est le protecteur du peuple !". Le rayon mortel commence à balayer la Terre (toujours le même quartier, d'ailleurs...), brûlant et détruisant quelques malheureux buildings qui n'avaient rien fait et grillant les gens sur place, ce qui ajoute à la panique de la population.

Et voilà qu'on arrive à la deuxième moitié du film, qui n'est qu'une suite de combats grotesques dans un décor lunaire entre nos quatre géants (l'Empereur, le Général, le Pyjama et la Statue du Temple). Et je te sors une épée rouge de mon ventre, et je te frappe à coup de bâton mou, et je t'envoie des rayons de toutes les couleurs, et je me cache derrière un rocher pour venir à pas de loup te bondir sur le râble (toute la salle en chœur : "Là! Il est là! Derrière toi!!!")... Malhabiles, engoncés dans leurs tenues et certainement écroulés de rire derrière leurs masques, les acteurs tentent de rendre crédibles ces batailles en mimant divers mouvements d'arts martiaux patauds et arthritiques. Le coup de chapeau revient à la Statue du Temple, dont le costume en tapisserie est sans doute le moins pratique de la bande. Mais rassurez-vous : tout le monde arbore fièrement sa fermeture éclair dans le dos, et là au moins, pas de jaloux.

Pour pimenter un peu l'action, l'empereur appelle à lui deux sympathiques créatures de caoutchouc, après une réplique qui fera date : "A moi, les dinosaures!". Les bestioles donnent du fil à retordre à nos robots, alors que sans la moindre explication, la scène des combats se transporte sur Terre, avec des arbres et tout. On nous fait à l'occasion passer le message de "l'entraide entre les peuples", symbolisés par le bloc asiatique et le bloc US qui se viennent en aide face à l'adversité de ce colossal ennemi (Mars, la planète rouge, tout ça tout ça, suivez mon regard…).

Au bout d'une interminable baston, les dignes représentants du Monde Libre éliminent les dinos, le Général (enfoncé dans le sol à coups de tatanes malgré son cri déchirant de "Pitié ! J'ai une femme et douze enfants !") puis c'est enfin l'Empereur de Tout L'Univers Connu qui termine symboliquement sa vie, pourtant pleine d'avenir, dans le feu de son propre rayon de la mort.

Du coup, on récupère la Pierre qui est maintenant à l'échelle des robots géants (un phénomène inexpliqué) et on rétablit la paix sur la Planète bleue. Le spectateur, lui, se masse la rate, un filet de bave au coin de la bouche. Le plus incroyable dans l'histoire, se dit-il, est-il que ce film ait été tourné, ou bien qu'on se soit donné la peine d'en réaliser une VF ? Quoi qu'il en soit, ça faisait longtemps que la Cinémathèque n'avait pas connu une ambiance aussi hystériquement délirante. A tous ceux qui étaient absents lors de cette mémorable soirée, nous ne pouvons que dire : dommage pour vous !!!

Pen of Chaos et C. Thill

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