Godzilla
Genre : imposture reptilienne à volume variable
Fiche technique
- 1998
- Réalisation : Roland Emmerich
- Scénar : Dean Devlin & Roland Emmerich (et le créateur de Godzilla, alors ?)
- Avec Matthew Broderick, Jean Reno, Maria Pitillo et d'autres zouaves
- SFX : Centropolis Effects, Cinema Production Services, Inc., Makeup & Effects Laboratories (MEL) Inc., Mechanical Effects Warehouse, Patrick Tatopoulos Designs, Inc. [us], Pixel Liberation Front, Question Mark FX, Sony Pictures Imageworks, VisionArt (dingue, il en faut du monde !)
Revue : Patrick Marcel
Bon, je n'y résiste point: j'espère que, ces temps-ci, sur Canal+, vous avez regardé "Godzilla", un nouveau triomphe du tandem Emmerich/Devlin, auquel nous devions déjà le nanarissime "Independance Day". Mais si ID4 était un scénario élimé rempli de gros trous de logique, "Godzilla" repousse les bornes de l'exploit en étant un énorme trou de logique, frangé de jolies scènes de casse. "Godzilla", c'est du nanar friqué, une appellation qui semble antithétique jusqu'à ce qu'on regarde le film.
Le générique nous laisse entendre qu'une famille d'iguanes ou un varan, en vacances en Polynésie française - seule explication rationnelle de leur présence là-bas, puisque ces deux sortes de bestioles ne sont pas indigènes - ont bêtement laissé traîner leurs œufs pendant les essais nucléaires français dans le Pacifique Sud. Cette distraction fatale, nous ses copains, nous fit pleurer, comme chantait Pierre Perret. Par la sottise de ces pollueurs de Français, le drame est lancé. Comme quoi, Chirac aura beaucoup fait pour le renom de la France, même à travers le cinéma US.
A la fin du générique, commence une série de scènes pour nous montrer la progression du monstre mystérieux. On en déduit que Godzounet a dû grandir en douce sur la plage de Mururoa, sans que personne ne l'aperçoive (de nombreux indices laissent entendre que dans l'univers emmerodevlien, les militaires sont des individus aveugles), à moins qu'il n'ait barboté dans l'eau dès sa naissance, croissant à une taille considérable avant d'être pris d'une brutale frénésie de voyage.
Parce qu'en effet, Godzounet se dirige droit vers New York. Pourquoi? On nous l'expliquera plus tard. Comment connaît-il l'existence de New York et pourquoi ne se contente-t-il pas de la côte Ouest des Etats-Unis?
"Parce que", un point, c'est tout...
Bon, on retrouve la trace des baskets de Godzounet dans la glaise fraîche du Panama. On en déduit que Godzounet a de solides connaissances en géographie pour savoir où il valait mieux traverser le continent américain, et a dû traverser de nuit pour ne pas se faire remarquer, puisqu'il mesure au minimum cinq étages de haut (quoi que sa taille varie pendant le film). Je l'imagine bien, vêtu d'un pardessus mastic et d'un chapeau mou, crapahutant sur la pointe des pattes en sifflotant un petit air innocent chaque fois qu'il croise un groupe de gens...
Bref, le grand G arrive à New York. Ici se glisse une nouvelle scène très jolie et totalement lobotomisée: un petit vieux lance le bouchon de sa canne à pêche. Un peu loin, sans doute, comme les auteurs du film: l'hameçon est aspiré, et la canne arrachée à ses mains (c'est une sacrée suceuse, Godzounette, si je puis me permettre: fonçant de toute la vitesse de ses petits petons, la bestiole arrive à aspirer assez vite pour compenser sa propre vitesse et arracher la canne des mains du pêcheur - wow!). Un peu effrayé, le petit vieux commence à courir d'une démarche arthritique sur le ponton de bois d'où il pêchait: Godzounet, lancé à une vitesse si extraordinaire qu'il soulève une vague sur son passage, se rue à sa poursuite... sans parvenir à le rejoindre. On en déduit donc que Godzillou, lancé à pleine allure, a une vitesse légérement inférieure à celle d'un petit vieux qui court mal. Moins impressionnant.
Godzillou est donc arrivé à Manhattan et y sème la panique - là, psychologiquement, ça se tient, je reconnais. On lance ces couillons de militaires aveugles à sa poursuite. Ils ne réussissent qu'à dégommer quelques monuments, mais pas à stopper le gros iguane prognathe.
Et c'est là que se place le coup de théâtre: Godzilla échappe aux militaires!
Oui, oui, vous avez bien lu: soudain, les militaires, équipés d'avions, de radars, d'hélicos, n'arrivent plus à localiser un lézard de cinq étages de haut dans Manhattan!
Mais ne vous inquiétez pas: les auteurs ont trouvé une explication tout à fait cohérente et géniale de simplicité: Godzizi s'est planqué dans les égouts, le fourbe.
Personnellement, il m'aurait semblé que la bouche d'égout de cinq étages de diamètre en travers de la rue aurait pu fournir un indice aux militaires. Ou même un trou de taille comparable. Saluons aussi le génie des Américains, qui ont doté New York de couloirs souterrains si vastes qu'un lézard de CINQ ÉTAGES DE HAUT, BORDEL!! puisse y circuler à son aise!! Je vous dis pas le confort pour les ordures. Elles peuvent circuler en Rolls!
Le héros (il y a un héros, une héroïne, un Français suspect-mais-du-bon-côté et quelques gags voulus, mais je vous fais la version courte) a alors une idée géniale: pour attirer Goddy, il fait déverser une tonne de poissons sur une place de NY. Il ne crie pas "Petit, petit!" pour attirer la bête, mais le coeur y est.
Comme New York est tout petit pour ceux qui aiment le poisson d'un aussi grand amour, Godzilla, terré dans les égouts, renifle le fumet de l'offrande (je me poserais des questions sur la fraîcheur, moi!) et jaillit, tel l'effet spécial ordinateur dans un film qui ne compte que sur ça.
Mais comme le lézard géant à l'haleine de lance-flammes est plus intelligent que les militaires, il leur échappe, le petit canaillou - ici se glisse une scène d'anthologie où un abruti qui s'est emparé d'un hélicoptère (on n'arrivera pas à me faire croire que c'est un vrai pilote militaire d'hélicoptère) est pris en chasse par Godillou et hurle qu'il n'arrive pas à semer la bête, avant de se faire bouffer. Je ne sais pas ce que fumaient les auteurs en écrivant et en tournant la scène, mais c'était de la bonne dope! Je ne connais pas UNE SEULE personne qui ait réussi à regarder cette scène imbécile sans lancer, d'une voix agacée, à l'adresse du simili-pilote: "Mais MONTE, crétin!"
Le héros a découvert que Godzichounet était en réalité une Godzichounette et que la mignonne était enceinte jusqu'aux yeux - la question se pose vaguement de savoir quel est le malotru qui a abusé de la gracile créature et l'a sauvagement engrossée au détour d'un palétuvier, mais la réponse est simple: c'est de la reproduction asexuée, "courante chez les reptiles".
Rire douloureux de spectateurs ayant de vagues connaissance en biologie...
Et donc, ça explique pourquoi il est venu à NY: pour y faire son nid!! Il a dû trouver une brochure d'agence de voyages sur la plage de Mururoa: "Venez pondre vos oeufs à New York - réductions importantes pour les lézards hermaphrodites géants". Comment résister?
Donc, nos-z-héros traquent Godounette avant qu'elle ne mette bas: ils ont déjà tellement de problèmes avec un seul, z'imaginez avec une douzaine d'oeufs??
Hé bien, Godzounet, toujours aussi discret, s'est planqué dans le Madison Suqare Garden (il est sans doute entré en dansant le limbo, parce que question hauteur, Goddy et le MSG sont pas très compatibles. mais passons: Godzou doit être semi-malléable, au long du film, adoptant des volumes divers en fonction des exigences du scénario. Mais revenons au MSG: là, horreur! Malheur! Urticaire! Godillou a pondu des *centaines* d'oeufs. Carrément. Ca rigole pas.
On espère pour lui qu'il/elle a ensuite fait un petit somme, parce que, comme les oeufs sont de la taille d'un homme et trois fois plus épais, deux cents oeufs comme ça, ça doit un peu vous mettre sur les rotules, tout lézard atomique qu'on puisse être.
Bon, je passe sur la fausse fin, où Godzichounet, il est mort!!! "Papa, il est mort, Godzilla?" demande un enfant qui se croit dans la version japonaise où Godichon est gentil. "Non!" réplique toute la salle, qui connaît la faiblesse fatale des Américains pour le vieux truc de "Un coup il est mort, un coup il est pas mort, et un coup je lui pète bien la gueule pour que là, cette fois, il est mort pour de bon!"
En attendant, les oeufs éclosent, mais grâce à des trucages ordinateurs remarquablement partiaux, aucun des petits dentus, qui doivent plus aux raptors de "Jurassic Park" qu'à leur Godzouillard de papa/maman, n'arrive à boulotter les héros, qui réussissent à faire sauter le Madison Square Garden sur les bébés, à la joie générale (peu partagées par les dentus, mais c'est secondaire).
Le temps de flinguer Godzichounet, qui croyait surprendre tout le monde en revenant à l'improviste, occasion d'une scène qui serait jolie si elle ne commençait un peu à abuser de la patience et de la bonne volonté du spectateur qui est plus ou moins bien garé, et on a juste le temps pour le baiser final et un plan totalement inattendu et parfaitement original d'un oeuf intact qui pulse diaboliquement dans les profondeurs du Madison Square Garden. C'est tout juste si en se fendant, on ne voit pas une lumière verte en sourdre et qu'on n'entend pas un ricanement diabolique en émerger.
Bref, entre le scénario lobotomisé et les trucages très jolis à l'oeil, on pourrait trouver pire nanar que "Godzilla" pour passer une soirée rigolotte. A plusieurs, c'est encore mieux. Et essayez de le choper ces temps-ci sur Canal+, ça vous évitera de dépenser de l'argent supplémentaire à le louer ou - gasp! - à l'acheter.
Rigoler, d'accord, mais y a des limites!
Patrick
PS: Lors de la campagne de promotion du film, Emmerich et Devlin avaient employé le slogan: "Size Does Matter" (La taille, ça compte vraiment!). Quand le film sortit et se fit vigoureusement étriller par la critique, Lucas Production inscrivit en slogan sur son site Web, parmi les rares nouvelles sur la préparation de "La Menace fantôme", la cinglante répartie: "Plot Does Matter" (Le scénario, ça compte vraiment!).
Bien trouvé.
Dommage, toutefois, qu'ils n'aient pas appliqué ce beau principe à la "Menace fantôme", justement...