Captain America
Genre : héros bariolé attaquant des forteresses
Fiche technique
- 1989
- Réalisation : Albert Pyun
Revue : Michel Pagel
Oui, c'est bien ce que vous croyez : une adaptation du comic book. Oui, c'est bien ce que vous craignez : nul.
Pourtant, ça commencerait plutôt pas mal : le pré-générique se situe en Italie, en 1936. Un jeune garçon, qu'on nous décrit comme surdoué, est enlevé par les fascistes et leurs alliés nazis pour être transformé en une sorte de surhomme. Sa famille est massacrée. Alors que dans un labo à la pointe du progrès (on jurerait celui de Frankenstein), il va subir un traitement à base d'électricité, la responsable du projet (qui ressemble comme deux gouttes d'eau à l'alliée Allemande de Dr. Death dans Austin Powers) comprend que ses découvertes vont être utilisées pour une mauvaise cause et elle s'enfuit.
Tout cela est assez crétin mais néanmoins rondement mené. La crétinerie va persister, pas le rythme.
Après le générique, toutefois, ça commence à merder. D'abord, on apprend que la scientifique allemande s'est régugiée aux USA (où serait-elle allée, hein, je vous demande un peu ? Pas à Londres, en tout cas.) et qu'elle a transmis ses notes aux autorités qui préparent leur propre programme de création de super-soldats. Ensuite, dix minutes terrrrrrriblement larmoyantes et pleines de bons sentiments nous permettent de faire la connaissance du premier cobaye : un certain Steve Rogers. Ceux qui ont lu le comic-book savent que Steve était un jeune garçon malingre, réformé par l'armée, et que son patriotisme fervent poussait à se porter volontaire. Les sentiments exprimés sont ici à peu près les mêmes (et un demi-siècle plus tard, ils passent nettement plus mal), sauf que Steve, interprété par Matt Salinger, a l'air passablement hébété mais pas malingre pour deux ronds et qu'on ne nous explique jamais au juste pourquoi il accepte de jouer les rats de laboratoire. Il m'a semblé affligé, au début du film, d'une légère claudication, mais ça frôle le subliminal. Bref, on apprend que son père est mort au combat, on fait connaissance avec sa courageuse maman et sa non moins courageuse petite amie, et hop ! direction un autre labo de Frankenstein où notre héros subit le traitement qui fait de cette montagne de muscles une montagne de muscles. Passons sur un effet spécial hilarant qui nous montre le développement d'un de ses mollets.
Là dessus, un visiteur officiel se révèle être un Nazi et, avant de se faire massacrer par Steve, réussit à descendre la scientifique — laquelle, nous révèle-t-on ne conservait aucune note, si bien que le programme se retrouve au point mort : il n'y aura qu'un seul super-soldat.Non seulement c'est improbable au dernier degré (vous êtes le président des USA : vous montez un projet coûteux sur les affirmations d'une scientifique venant d'un pays avec lequel vous êtes en guerre sans avoir fait examiner ses travaux par tout ce que le pays compte de grosses têtes, vous ? Si votre réponse est oui, ça explique en partie que vous ne soyez pas président des USA) mais en plus (reprenez avant la parenthèse si vous avez oublié le début de la phrase) c'est un gros mensonge. On y reviendra.
Donc, Captain America écope de sa première mission : il est parachuté en Allemagne pour accomplir dans une forteresse (évidemment) un acte héroïque dont j'ai déjà oublié la nature. Ça nous permet de découvrir son beau costume.
Ah, ce costume ! C'est l'Allemande, toujours la même, qui l'a conçu. Quand Steve demande s'il n'est pas un peu voyant, on lui répond que la chère femme adorait vraiment le rouge, le blanc et le bleu. Traduisez : le drapeau des USA. Traduisez : la liberté. On écrase une larme furtive en regrettant que personne n'ait jugé bon de coller deux baffes à la vieille taupe et de commander du tissu kaki. Parce que franchement, le costume de Captain America est un des plus ridicules à être jamais sorti de la plume de ce grand dessinateur qu'était Jack Kirby. Avec ses petites ailes sur son capuchon et son bouclier en plastique, il a vraiment l'air croquignolet, Captain — et effectivement, il se remarque comme le nez au milieu de la figure dans à peu près n'importe quel environnement. La parfaite antithèse de l'effet caméléon. Bon, passons, notre bel arbre de Noël s'introduit dans la forteresse, casse la gueule d'une trentaine de gardes armés et finit par se retrouver face au grand patron qui n'est autre, vous l'aurez deviné, que notre gamin italien du début. Pas rancunier, il sert les méchants nazis qui ont massacré les siens, à moins que son traitement ne lui ait fait oublier ses souvenirs, c'est pas précisé. Faut dire que le traitement ne l'a pas tellement arrangé : en plus de décupler ses forces et son intellect, il l'a aussi recouvert de carton pâte rouge, qui donne à son visage l'air d'une pizza aux poivrons trop cuite. Bien sûr, on l'appelle Crâne Rouge. (The Red Skull était effectivement le principal ennemi de Captain America quand ce dernier combattait les Nazis dans le comic book) Baston. Captain se ramasse une branlée et est attaché à une fusée-bombe pointée sur la Maison-Blanche.
C'est là que se place la scène la plus extraordinaire du film, quelque chose de grandiose, de presque digne d'Ed Wood Jr. A Washington, un petit garçon du nom de Thomas Kimball, dont le père est diplomate, regarde le ciel depuis la fenêtre de sa chambre, dans un immeuble proche de la Maison Blanche. Thomas, signalons-le, rêve de devenir président des Etats-Unis. La bombe se profile à l'horizon. Nous la voyons grandir dans le champ de vision de l'enfant qui, heureusement, a un appareil-photo sous la main et la présence d'esprit de s'en servir. Au dernier moment, alors que le terrible projectile va toucher sa cible, Captain America a un trait de génie. Préparez-vous, respirez bien, ça ne sera qu'un mauvais moment à passer… A COUPS DE PIED, IL TORD UNE DES AILETTES DE LA FUSEE ET IL REUSSIT A EN DEVIER LA COURSE ! Et l'insupportable gamin, bien sûr, en a des étoiles plein les yeux pendant encore deux scènes à grincer des dents.
La fusée partait vers le ciel. Donc, vers le haut. Donc elle remonte jusqu'en Alaska, où elle atterrit comme un avion, bizarrement, et finit par se planter dans un bloc de glace sans même faire semblant d'exploser. Comme quoi c'était bien la peine de faire tant d'histoires. Sur ces entrefaits, il ne se passe absolument rien jusque dans les années 90, moment où avec une étonnant simultanéité, Captain America est délivré de la glace qui lui a permis de survivre sans vieillir depuis son accident, et Crâne Rouge refait parler de lui en enlevant le président des USA auquel, d'accord avec la frange extrêmiste de l'establishment, il veut greffer un petit appareil qui fera de lui une marionnette entre ses mains. Le président, autant vous le dire tout de suite, c'est le gamin de tout à l'heure, qui conserve toujours dans son portefeuille la photo qu'il a prise cinquante ans plus tôt. Il est gentil ! C'est sa caractéristique principale.
Captain, un brin déboussolé, se croit toujours en 43 et n'a rien de plus pressé que d'aller voir son ancienne petite amie, qu'il retrouve bien sûr mariée et mère d'une charmante jeune femme, laquelle arrive à point pour prendre la relève dans les bras de Steve. Tout pourrait aller bien, si la vieille n'était pas torturée et tuée par la fille de Crâne Rouge, chargée d'abattre Captain America.
Là, j'avoue, je ne comprends pas. La raison de ce personnage, veux-je dire. Je la comprendrais si à un moment quelconque Captain America était charmé par elle, ou l'inverse, c'est de la ficelle classique, mais là, franchement, on aurait à la place de cette fille un sumotori bègue et chauve, ça serait pareil. Elle n'a même pas l'air d'aimer tellement son père. C'est une tueuse, point final. Et pas très douée, en plus. Bon, vous aurez compris que notre héros ne peut pas laisser tout ça impuni et qu'il va s'arranger à la fois pour neutraliser les méchants et pour libérer le président des USA dans sa forteresse (si, si, encore une forteresse, je vous assure), président qui fera lui aussi preuve d'héroïsme face à l'ennemi, et bla bla bla, je vous passe les détails. Deux choses tout de même : d'abord le Crâne Rouge des années 90 n'est pas celui des années 40. Pour passer inaperçu, il a subi une opération de chirurgie esthétique. Probablement exécutée par le Dr. Frankenstein, encore un coup, parce qu'on ne voit plus les poivrons, mais il ressemble toujours à une pizza trop cuite.
Ensuite, désirant apprendre l'identité de son vieil ennemi, Captain retrouve le journal que tenait la scientifique allemande du début. Hein ? J'ai mal entendu, là ? Vous nous aviez pas dit qu'elle ne prenait aucune note ? "Si, mais c'est parce que ça nous arrangeait, à ce moment-là." On se fout ouvertement de la gueule du spectateur, quand même. Et c'est la fin ! Steve s'en va avec la fille de son ancienne petite amie vers de nouvelles aventures qui n'auront probablement jamais lieu, en tout cas au cinéma, vu le flop qu'a fait cette horreur sortie seulement en 1992 et seulement en vidéo.
Ce qu'il y a d'extraordinaire, avec ce film, c'est qu'il se débrouille pour rater les effets les plus faciles : on a une histoire pas géniale mais riche en rebondissements et en action, pourtant l'ensemble est poussif, jamais haletant ; on a une intrigue simplissime et pourtant le film est décousu. On a un costume qui… non, d'accord, pour le costume, ils ne pouvaient pas faire grand-chose. D'ailleurs, Steve Rogers ne doit le porter qu'en tout et pour tout un quart d'heure sur une heure et demie de film.
En fait, le plus gros reproche qu'on peut faire à cette production Menahem Golan, c'est de n'avoir ni le second degré, indispensable de nos jours, pour transcender la crétinerie du propos (imaginez Indiana Jones sans humour) ni le kitsch qui pourrait faire apprécier son premier degré au second (si vous voyez ce que je veux dire).