Femme fatale

Genre : aventure urbaine

Fiche technique

Revue : Michel Pagel

Brian de Palma n'est pas mon réalisateur préféré, mais j'ai tout de même beaucoup aimé certains de ses films (Phantom of the Paradise, Carrie, Les Incorruptibles...) et j'en ai suivi pas mal d'autres sans ennui. Il est souvent agaçant, avec tous ses "hommages" qui sentent le plagiat à plein nez, mais c'est un technicien honorable, parfois inspiré. Celui-là, je n'en avais pas entendu parler (c'était peut-être un signe), je n'en savais rien du tout, mais j'y allais en confiance, en me disant qu'au pire, ça ne pourrait pas être plus mauvais que Blow Out, hein ? Eh bien, si ! Et de loin.

En fait, le problème, (le plus gros) c'est qu'il n'y a pas un moment crédible dans le film. C'est assez embêtant. Ça se passe en France. C'est co-produit par le CNC, sans déconner. Et du coup, y a toute une tripotée d'acteurs français dans les rôles secondaires. Et ils sont mauvais ! Tous ! Ils débitent leur texte comme des acteurs de club de théâtre municipal, et encore, j'en ai connu de plus doués.
Ça commence par une opération de vol de grande envergure. Une bande de méchants (surtout des Noirs et des Arabes) (NDLR: le film est financé par le gouvernement U.S. ?) s'introduit dans un festival de cinéma de grande envergure (Cannes ? Je sais pas, j'ai pas fait gaffe) pour voler le bustier d'or et de diamants que porte un top-model. La fille de la bande, Laure, qui est, elle, bien blanche, puisqu'elle est jouée par Rebecca Romijn-Stamos, déguisée en photographe, se charge d'attirer le top model dans les toilettes et de lui retirer ledit bustier au cours d'une scène de lesbianisme qui n'aurait pas déparé un Franco de la grande époque. Déjà, que le top-model la suive comme ça, alors qu'elle ne la connaît pas, relève de l'assez improbable. (Mais là, n'exagérons pas : on comprendra plus tard qu'en fait, c'est logique). Tandis que ces dames s'ébattent dans les lavabos, le chef de la bande, un grand black antipathique, remplace les pièces du bustier qui tombent à terre par celles du faux bustier qu'il a préparées. Hé, sans déconner : les filles sont collées à une espèce de paroi de verre qui ne descend pas tout à fait jusqu'au sol ; lui, il est agenouillé de l'autre côté, et régulièrement, il passe la main par en-dessous pour faire les échanges. Vous y croyez, vous ? (D'accord, on verra plus tard que les DEUX filles sont au courant et peuvent donc aisément faire semblant de ne pas le voir, mais lui ! Comment peut-il se dire que ça va marcher ???) Ça se gâte quand intervient le service de sécurité affecté au top-model pour protéger le bustier. Le méchant prend une balle dans la cuisse. Il s'apprête à abattre le top-model quand, bon coeur, Laure intervient et sauve ce dernier, qui peut s'enfuir avec le faux bustier, donc. En alternance avec toute cette scène, on assiste aux prodiges technologiques des voleurs qui s'introduisent dans la place et utilisent lasers et micro-caméras pédonculées pour... couper la lumière au bon moment, afin de protéger leur sortie, ce qui donne au spectateur la nette impression qu'on vient de tuer le proverbial moustique avec le non moins proverbial fusil à éléphants. C'est à Laure que profite le système. Elle s'enfuit et son complice blessé est capturé. Alors qu'elle rencontre une amie à elle dont le visage ne nous est pas montré (notez), un paparazzo (Antonio Banderas) la prend en photo. Affolée, elle se réfugie dans une église dans laquelle se déroule un enterrement. Et là, mordez l'astuce de scénario : un couple présent a une fille qui est LE PORTRAIT EXACT de Laure et qui semble avoir disparu. Du coup, ils lui courent après, elle s'affole, se fait renverser par une voiture et se réveille chez ces braves gens, secouée mais indemne.
Scusez moi ? C'est pas de la coIncidence premier choix, ça ? En gros, y a combien de chances pour qu'un truc comme ça arrive, juste au bon moment, hein ? Alors qu'une des filles (Laure) est américaine et l'autre (Lily) française ? Brian, tu pousses !

Bon, Laure prend un bain. A ce moment-là, débarque la vraie Lily, visiblement pas ravie, qui commence à jouer à la roulette russe, après avoir laissé une note de suicide. Attendez, là, je voudrais pas chipoter, mais enfin, si elle a l'intention de se suicider, ce que tout indique, est-il vraiment logique qu'elle en profite juste avant pour se stresser à mort en ne mettant qu'une seule balle dans le barillet et youpi ? Bref, au deuxième coup, ça marche. Laure en profite pour lui piquer son passeport et son billet d'avion pour les Etats-Unis (ça tombe bien, non, qu'elle ait justement un billet d'avion pour les Etats-Unis ? J'espère que Laure pensera à faire une bise au scénariste — Brian, toujours. Qui pousse, toujours.

Elle prend l'avion et, grâce à une miraculeuse erreur d'ordinateur, se retrouve en première classe, à côté d'un diplomate américain (Peter Coyote) qui tombe fou amoureux d'elle. Fin de la première partie. Sept ans plus tard, retour en France. Antonio Banderas reçoit un coup de téléphone du rédac-chef de Gala (je le jure!) : Le nouvel ambassadeur des Etats arrive aujourd'hui à PAris. Sa femme a toujours refusé de se laisser photographier et d'apparaître en public. Notre ami pourrait-il s'arranger pour la prendre en photo ?

Il se fait un peu prier, parce que lui, c'est un vrai photographe et que ce genre de boulot le dégoûte, et patati et patata, mais il se débrouille quand même pour prendre la photo. Bon, je ne vous fais pas l'injure de vous dire qui est la femme de l'ambassadeur, OK ? Pendant ce temps-là, le méchant black du début est libéré de prison. Il rejoint un méchant Arabe qui faisait partie de la bande (un des plus mauvais acteurs du film, soit dit en passant) et tous deux décident de retrouver la méchante Laure pour lui faire payer sa trahison. La photo paraît. Antonio, très gêné, se met à suivre Laure (qu'il ne reconnaît pas alors qu'il l'a prise naguère en photo, mais sinon y'aurait pas de film. Brian... tu pousses). S'ensuit une intrigue de manipulation conventionnelle, durant laquelle elle le mène en bateau comme un abruti, organise son propre enlèvement, fait croire qu'il en est responsable, et quand il veut se rebiffer au moment de la remise de la rançon, elle les tue, lui et son mari. Juste avant d'être retrouvée par les méchants et flanquée à la Seine.
Je vous passe les détails, parce qu'ils n'ont aucun intérêt. Sauf deux, quand même :
Le premier est important pour la suite : Les méchants retrouvent la copine de Laure et, faute de pouvoir la faire parler, la balancent sous un camion.
Le suivant est savoureux en lui-même : juste avant la remise de la rançon, Laure et Antonio ont quelques heures à tuer : ils vont donc dans un bar bondé, apparemment seulement fréquenté par des espèces de Hell's Angels, ce qui est follement crédible. Laure porte une robe qui ferait scandale dans n'importe quel bar honnête et constitue dans pareil environnement un appel au viol strident. En plus, elle flirte avec les clients, jusqu'à finir par en entraîner un dans la salle du sous-sol — opportunément déserte, alors qu'en haut, ça grouille — et attend patiemment qu'Antonio intervienne. Ce qu'il fait avant de la prendre sauvagement sur le billard.

Attendez, attendez. Ils sont en train de monter un enlèvement bidon, avec dix millions de dollars à la clef, tous les deux ont déjà eu affaire à la police, et ce glorieux génie du mal qu'est Laure, qui a de surcroit sa photo sur tous les murs de la capitale, s'amuse à provoquer une bagarre dans un bar ??? Je rêve.
Eh bien non ! Tenez-vous bien : c'est ELLE qui rêve.
Oui ! Brian a osé. Ce n'était qu'un rêve ! Au moment où elle est balancée à la Seine, elle se réveille dans son bain, juste avant que Lily n'arrive pour se coller une balle dans le citron. Tout ce qui s'est passé après n'était qu'un rêve. J'ai hurlé de douleur sur mon siège ! Ça fait combien de temps qu'on n'avait plus osé nous la faire, celle-là, hein ?

Pour tenter vaguement de se justifier, Brian nous colle un brin de fantastique : le rêve était totalement prémonitoire. Du coup, cette fois-ci, elle empêche Lily de se suicider, lui rend son billet d'avion et l'envoie se marier avec l'ambassadeur. Partant à l'aéroport en stop, Lily donne son pendentif au conducteur du camion qui la ramasse, pour sa fille, en lui précisant bien : "quand elle sera grande, elle n'en voudra plus, alors vous n'aurez qu'à l'accrocher à votre rétroviseur." Et re-sept ans plus tard. Une nouvelle fois, l'ambassadeur arrive en France et Antonio est engagé pour prendre une photo de sa femme (qui refuse aussi de se laisser photographier, apparemment, alors que celle-là n'a rien à se reprocher), mais on s'en fout, parce que dans la rue, il aperçoit Laure (qu'il reconnaît, cette fois-ci. Brian !!!) et sa copine. Laquelle se révèle être le top-model du début qui, en fait, est bel et bien parti avec le vrai bustier, qu'elle a ensuite écoulé petit à petit. Ça, c'est vachement crédible aussi, les enfants, hein? Ça n'est venu à l'idée de personne, pas même de la compagnie d'assurances, de vérifier avec quoi elle se barrait ? Mais bon, passons. Elle est là pour donner sa part à Laure. Quand les deux femmes se séparent, la copine est alpaguée par les deux méchants, comme dans le rêve, mais alors qu'ils vont la balancer sous le camion, le chauffeur de ce dernier est aveuglé par un rayon de soleil traversant le pendentif qui pend à son rétroviseur, il fait un écart, et ce sont les deux affreux qu'il écrase — contre une grille horizontale providentiellement posée là pour les accueillir. Eh oui ! Le même camion, le même chauffeur, dites donc. Allez, d'accord, vous allez me dire que c'est de la poésie. Allez, d'accord, je veux bien. C'est une recette de fantastique classique. Ouais, admettons... Mais quand même, quand même, ça fait beaucoup de coincidences.
Là dessus, Laure se fait bousculer dans la rue, s'effondre, et devinez qui est-ce qui la relève et avec qui elle part ? Oui, Antonio. On devine qu'ils vont vivre une grande histoire d'amour et ça se termine comme ça.

Je crois que c'est le plus mauvais film de Brian de Palma. La mère Rebecca est superbe mais ne dégage pas grand-chose côté charisme. Peter Coyote, on l'entrevoit à peine. Banderas, seul, nous donne un grand moment de plaisir durant une scène où il joue les grandes folles, mais pour le reste, on ne lui demande pas grand-chose non plus. Allez, d'accord, soyons juste : c'est monté correctement, le rythme est suffisament rapide pour qu'on ne s'ennuie pas vraiment, et on n'aperçoit pas le micro en haut de l'écran. Mais c'est vraiment tout. La mise en scène de Brian de Palma est tape-à-l'oeil, filmant n'importe quoi sous tous les angles, au point qu'on en arrive à regretter ses "hommages" hitchcockiens. Même dans la v.o., il y a tellement de dialogues en français dits par des acteurs déplorables qu'on a parfois l'impression de regarder Taxi 12. Et puis surtout, on n'y croit pas un instant. Chaque fois qu'une performance convaincante des acteurs principaux et du monteur menace de nous plonger dans le film, il y a le petit détail qui nous en ressort aussi sec.

Il y a même tellement d'invraisemblances dans ce remarquable navet qu'on peut se demander si, d'ici dix ou quinze ans, il ne fera pas figure de nanar, tiens.

Brian... Tu pousses !

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