Donjons et Dragons

Genre : Fantaisies héroïques

Fiche technique

Revue : Patrick Marcel

DONJONS & DRAGONS est un film à l'image du jeu qui l'a inspiré: c'est sans doute très amusant entre amis, dans un lieu clos, mais dès qu'on fait ça en public, ça devient embarrassant pour tout le monde.

Bon, allez, on y va.

Tout commence ‹ mal ‹ par la présentation des deux méchants de l'histoire: si la vision de Jeremy Irons cabotinant douloureusement pour payer ses impôts ne vous cueille pas dès le départ (putain, qu'il est mauvais quand il en fait des tonnes!), la découverte que les deux vilains s'appellent Profion et Damodar devrait alimenter des heures de jeux de mots idiots et graveleux. Moi, ça m'a beaucoup fait rire, mais faut dire que je n'étais pas prévenu. Ça m'a fait un choc, forcément. Il faut reconnaître que Profion est un trouduc professionnel: on n'est donc pas trompé sur la marchandise.

Or donc, Profion essaie de contrôler les dragons, parce qu'il y en a dans le titre et qu'il faut justif... pouf, pouf: parce que qui contrôle les dragons contrôle l'empire d'Izmer (réciter ça avec un trémolo sonore dans la voix).

Hélas, son expérience met le feu aux égouts et pas aux poudres. Or, Profion (je m'habituerais jamais) doit faire pour acquérir ce surcroît de pouvoir, parce que cette greluche de petite Impératrice... pouf pouf: d'impératrice tout court. La Petite Impératrice, c'est dans L'HISTOIRE SANS FIN, et je me laisse juste abuser par le fait qu'elle porte exactement le même costume. Donc, cette greluche d'impératrice veut instaurer la démocratie en Izmer: les nobles mages et les pue-de-la-gueule qui hantent les rues seraient déclarés égaux, et tout ça. Forcément, ce noble dessein se heurte à la féroce vilenie de Profion, qui en plus d'en faire des tonnes, n'est pas démocrate.

Les mages sont pas fous de l'idée non plus, mais on s'en tape, ils ne sont là que pour la figuration.

Profion a décidé de faire destituer l'impératrice par le conseil des Mages, au cours d'une scène et dans un décor (un charmant petit théâtre baroque à l'italienne) qui évoquent une version riquiqui des débats sénatoriaux déjà follement captivants de LA MENACE FANTÔME. Là, c'est encore pire: si les dix premières minutes n'avaient pas déjà sonné le tocsin pour le spectateur, le fait de voir ça achève de montrer que ça sent le bouilli.

Passons.

L'impératrice, rusée, voudrait récupérer le Sceptre de Savrille. Comme ça, si Profion lui pique son sceptre à elle, elle pourra avoir un autre sceptre, qui est pareil, mais en mieux (en effet, le sceptre de Savrille vaut un sceptre d'impératrice plus six points, et permet d'invoquer en bonus les dragons rouges. Ça rigole pas...). Elle expédie donc son bras droit, une magette un peu coincée, récupérer le parchemin qui indiquera où se trouve le sceptre (oui, c'est du D&D, donc tout fonctionne comme un jeu de piste où, à chaque étape, on accumule du bric-à-brac pour obtenir assez de points pour décrocher le suprême Bidule).

Ayant appris ce que mijote l'impératrice, Profion envoie son âme damnée, Damodar.

Une mention sur Damodar ("Damodar"! Pffff!).

Dans une critique d'un film d'horreur ringard où figurait Jack l'éventreur, Harlan Ellison racontait l'anecdote suivante: "Dans une rue londonienne pleine de brouillard, une prostituée devine une présence menaçante. Elle commence à s'éloigner d'un pas pressé. Plan de coupe sur deux pieds d'homme à ses trousses, qui avancent d'un pas lent, mesuré et menaçant. La pauvre fille prend peur, et force l'allure: les pieds de l'homme gardent le même rythme lent, mesuré et menaçant. La fille se met à courir. Même plan de coupe. La fille galope de plus en plus vite: elle va si vite qu'elle a déjà dû changer de fuseau horaire... Et soudain, l'homme, qui n'a pas accéléré d'un poil... la rattrape!"

Damodar, c'est un gars comme ça.

Lorsqu'il a lu son rôle et qu'il a vu qu'il devait porter du rouge à lèvres bleu, Bruce Payne a dû faire le pari d'interpréter tout son rôle au ralenti, pour rigoler un peu (on comprend qu'il cherche à s'occuper, parce que franchement, le rôle est pas vraiment captivant; là encore, faut avoir des arriérés d'impôts à payer). Et donc, il avance à travers tout le film avec un pas hiératique comme les colosses de Memnon, et articule avec un débit qui ferait passer l'actuel entraîneur des Bleus pour une pipelette (s'il faut en croire les Guignols).

Une fois qu'on a repéré ça, chaque apparition de Bruce est un régal. Sinon, franchement, on s'emmerde un peu, tellement il est lourd.

Bon, on cause, on cause, et je n'ai toujours pas parlé des héros. Faut dire que ça donne pas envie: un jeune crétin, blanc et sympathique (en principe - personnellement, je le trouve horripilant) qui s'appelle Ridley (oui, oui, je vous en ferai une plus tard, attendez un peu), un brave gars un peu voleur, mais altruiste, généreux et démocrate, et son comparse, Snails ("escargots" - on voit tout de suite la hiérarchie), un brav' p'tit Black, menteur, égoïste, cupide, froussard, coureur et voleur - hé, comme tous les Blacks non? Qu'est-ce qu'on rigole et qu'est-ce que c'est sympathique! On se croirait revenu au bon vieux temps des comédies des années quarante, où des Blacks riboulaient des yeux en tremblant comme des feuilles quand on parlait de fantômes!

Allez ensuite soutenir que la fantasy n'est pas forcément un genre passéiste et rétrograde. Et nul. C'est pas facile.

Bon, je vais vous faire la version courte: nos héros ont décidé de braquer l'école de magie (qui semble avoir été tournée dans une bibliothèque de château baroque et dans une église de même période ‹ j'ai pas regardé le générique, mais je ne serais qu'à moitié étonné de savoir que certains plans ont été tournés à Prague ou par là-bas), au moment où l'envoyée de l'impératrice débarque et où Damodar (pffft! quel nom!) déboule au ralenti, escorté par une escouade de pimpins.

Tout le monde se flanque un peu une peignée, nos héros s'enfuient avec la pimbêche, récoltent un nain au passant et partent récolter les diverses couillonnades qui aboutiront au sceptre machin truc.

Allez, quand même, une mention plus poussée sur le nain: il a un faux air de Christopher Lloyd, arbore une invraisemblable barbe rousse, fronce souvent les sourcils d'un air courroucé, manie une hache en pur plastique nain travaillé dans le moule, a cinq répliques sans le moindre intérêt, ne sert strictement à rien (notre nain aurait pu être piqué dans un jardin sans que l'intrigue en pâtisse), et mesure à vue d'oeil un bon mètre soixante-dix.

Ce qui, me semble-t-il, est limite exagéré pour un nain.

Certes, il essaie de se voûter pour faire illusion, mais comment dire? Ça ne marche pas vraiment. En plus, y a de vrais nains dans le décor, parfois, et le contraste est d'autant plus frappant. On a dû tomber sur un nain géant.

Y en a sans doute.

En fait, ce pauvre homme est juste là pour assurer le quota de races exotiques nécessaires à la recette d'une bonne quête à la traditionnelle (c'est comme la garbure: si on n'a pas les ingrédients, la recette foire. Ceci dit, parfois, les ingrédients sont pas frais, et la recette foire de même: c'est le cas ici). Notre version délavée du SEIGNEUR DES ANNEAUX récupérera un peu plus tard une elfette (non, bas une Zuizze!), moulée dans une cuirasse en plastique bleui avec tétons incorporés, qui aura le bon goût d'être la seule autre personne de couleur dans le film, ce qui permet de caser Snails côté coeur, sans risquer de sombrer dans le mélange des couleurs, qui pouah!

J'adore vraiment le côté sauvagement progressiste de ce film.

Bon, je vous passe les péripéties, toutes prévisibles. Seule ‹ vague ‹ surprise: Snails, quand il a fini de faire des clowneries et de démontrer qu'il ne pense qu'au fric et au cul, est pris d'un accès de courage (court - faut pas non plus faire dans l'invraisemblable, hein!), est méchamment tué au ralenti par Bruce Payne. Bruce a d'ailleurs une réplique qui est belle comme du Racine et que je tiens à citer, traduite de l'anglais (non, j'ai pas regardé ça en VF, en plus: maso, mais y a des limites):

"Ça vous ressemble bien, vous autres voleurs: toujours à prendre des objets qui ne vous appartiennent pas."

Euh, ben, oui, c'te question: c'est un peu la définition. Il est con, lui.

Donc, Damodar tue Snails et le jette du hait des remparts, sous les yeux de Ridley, bouleversifié grave ‹ normal, par conséquent, qu'on ait droit à la chute du faux con noir, avec un tel spectateur (je vous avais prévenus). Bon, Ridley a un très beau moment où il pousse un cri de bête blessé-euh en voyant son copain gravement mouru, ce qui pour ma part m'a fait m'esclaffer, parce qu'il est assez mauvais, le Ridley, et que je fais preuve d'un mauvais fond, surtout quand le film me cherche vraiment. Là, le film me cherche grave.

Et ceux qui se disent que le fait que l'elfette noire est toujours là présage d'un rebondissement de dernière minute ne se trompent pas tout à fait.

Bon, Ridley chope le sceptre après moult aventures, labyrinthes et épreuves sans surprise, se fait offrir une zoulie épée bien brillante par le roi des Elfes, joué par Tom Baker, en rupture de Dr Who, avec des oreilles pointues.

Entre-temps, les mages manipulés par Palpatine... pouf, pouf: par Profion, votent la défiance envers l'impératrice, qui décide que, puisque c'est comme ça, c'est la guerre, et elle rapplique habillée en Morgane comme dans EXCALIBUR (c'est dingue: sa garde-robe semble être bourrée de versions retaillées de robes de films connus) à la tête de ses dragons dorés qu'elle lance à l'assaut des mages: visiblement, elle prend très mal qu'on lui dise non.

Encore heureux que ce soit la gentille! Parce que la pluie de dragons morts ou blessés dans les rues d'Izmer, les avalanches de débris et les gerbes de flammes, ça doit assez mal prédisposer les habitants, même si c'est pour leur bien (ce dont ils ne savent rien: aider le peuple, soit, mais s'emmerder à les mettre au courant, holà! On aura le temps plus tard!).

Bon, Ridley perd le sceptre, Profion commande aux dragons rouges, Ridley pète la gueule à Damodar (facile, à la vitesse où il se bat!), Profion se fait bouffer par un gros dragon très mal fait et, quand tout est fini, l'Impératrice remercie le nain.

Non. Moi non plus, je ne sais pas pourquoi elle remercie le nain, qui a été d'une somptueuse inutilité pendant tout le film. Peut-être pour pas qu'il ait eu l'impression d'être venu pour rien.

Et le film s'achève sur la promesse de résurrection de Snails, qui aurait pu faire le thème d'un deuxième volet, à la STAR TREK III, si le film ne s'était pas vautré au box office comme un dragon rouge en fin de parcours.

Signalons que, deux fois, on fait allusion à des scènes magnifiques et magiques... qu'on ne voit pas (le spectre du parchemin, et le rêve de naissance du dragon): le film arrivait à court de budget, ou on les a peut-être mises de côté pour les bonus du DVD.

Les cinéphiles les plus maso parmi vous pourront confirmer.

Bref, bilan de la chose: un film acheté et bâti en kit comme du matériel de D&D, des dialogues si rodé dans nombres de films de même farine qu'on peut quasiment réciter en même temps que les acteurs les prononcent, surtout avec Bruce Payne qui articule bien: on a le temps. Le héros: "Mais, vous aviez promis de nous épargner?" Tous en choeur: "J'AI MENTI!" Des décors et des personnages qui nous jouent une version hygiénique d'une vague Renaissance teintée de trois gouttes de SEIGNEUR DES ANNEAUX.

Les trucages sont potables (sauf le dragon qui bouffe Jeremy à la fin: je suppose que le seul qui a accepté d'approcher était le plus vilain, ou qu'il était puni)... Mais quand on n'est pas embarrassé par la grande médiocrité du scénario, de la mise en scène, du jeu des acteurs ou des dialogues (quand ce n'est pas un mélange de tout ça), on s'emmerde un peu.

DONJONS ET DRAGONS, finalement, c'est peut-être le premier film de fantasy générique. Contient tous les ingrédients requis, mais rien de plus. C'est dommage qu'ils aient appelé ça DONJONS & DRAGONS, en fait: un produit comme ça, ça se vend sans marque, en général.

On peut mener une existence riche et heureuse sans jamais avoir vu ce truc. En fait, c'est même préférable.

Retour à la page BIS