The killer shrews
Genre : attaque de bestioles
Fiche technique
- THE KILLER SHREWS (1959), U.S.A., 69 minutes
- Réalisation : Ray Kellogg
- Scénario : Jay Simms
- Avec James Best (Capitaine Thorne Sherman), Ingrid Goude (Ann Craigis), Ken Curtis (Jerry Farrell), Gordon McLendon (Dr. Radford Baines), Baruch Lumet (Dr. Milo Craigis), Judge Henry Dupree (Rook Griswold), Alfredo DeSoto (Mario)
Revue : Marc Madouraud
Eh oui, après les chenilles-escargots géantes, je vous offre cette fois-ci des musaraignes géantes ! Que pourrais-je vous proposer par la suite ? Des morpions géants ? Des Yorkshires géants ? Des nains de jardins géants ? Des scotch-brits géants ? Des pots de Nutella géants ? Tremblez, cinéphiles !
"Killer Shrews" ! "Les musaraignes tueuses"... Quel titre pour un film d'horreur ! Et pourtant, le film a pour vedettes, réellement, des musaraignes géantes et mortelles, de la taille d'un chien. Euh... Pas seulement la taille d'un chien. Car, visiblement, ces gentilles bêbêtes sont interprétées par de vrais clébards, affublés d'une sorte de carpette sur laquelle ont été collées des longues touffes de poils, d'une queue de rat et de fausses ratiches de dix centimètres. Le résultat est atroce et envoie franchement le film naviguer dans les eaux troubles du Z.
Pourtant, "Killer Shrews" n'est pas entièrement négatif. D'ailleurs, le plus souvent, les films d'horreur animaliers ruraux, comme "Soudain les monstres", "Night of the Lepus" (quoique... celui-là... avec ses lapins géants) ou certains William Girdler, tout en étant très loin d'être géniaux, se laissent toujours voir avec un certain plaisir. C'est le cas de notre musaraignerie, certes totalement fauchée, mais qui se rattrape au niveau du suspense et de la (relative) crédibilité.
De quoi qu'ça cause ? Le scénario pourrait tenir sur l'ongle de l'auriculaire d'un manchot des deux bras. Sherman, le capitaine d'un petit bateau, accompagné de son aide (le classique faire-valoir noir comique, bien enveloppé et passablement ahuri), vient livrer des marchandises sur une petite île au large du Texas. Sur place, il fait connaissance avec les occupants d'un centre de recherches scientifiques (assez pitoyable, puisqu'il se compose d'une vieille maison entourée d'une palissade en planches) : le Dr Craigis, chef de la mission ; sa ravissante fille Ann, une pulpeuse blonde ; ses deux adjoints, Farrell, saoulard et antipathique, et Baines, perdu dans son travail. Plus un domestique mexicain qui ne va pas, on s'en doute, faire long feu.
Le capitaine se fait vite expliquer que les savants, pour trouver une solution au problème de la surpopulation, font des expériences sur les musaraignes (logique, non ?), mais que ces essais pour rallonger leur existence n'ont en fait que permis d'agrandir leur taille ! Or, des musaraignes se sont échappées et se sont multipliées jusqu'à compter plusieurs dizaines d'individus dans leurs rangs, rôdant sur l'île à la recherche de chair fraîche. Craigis n'est pas trop inquiet quant à l'importance de ce péril pour le reste de l'humanité, car les musaraignes, une fois qu'elles auront boulotté tout ce qu'il y a de comestible sur l'île, s'entre-dévoreront ou périront d'inanition. Le seul problème ? Les êtres humains sont aussi une source de nourriture...
Et les rongeurs taille XXL s'en sont bien aperçus. A l'extérieur, ils ont déjà grignoté l'aide du capitaine - hors champ, derrière un fourré, dans la forêt miteuse qui jouxte la maison (tout aussi miteuse). Ils assiègent la palissade extérieure, et commencent à grignoter en coeur les murs de la baraque, aussi friables que minces. L'une des bestioles a réussi à gagner la cave et finit par mordre le serviteur mexicain, avant d'être abattu par Sherman. Le pauvre domestique en meurt presque aussitôt, car nous apprenons que des appâts empoisonnés avaient été donnés aux monstres, mais que ceux-ci, loin d'en être incommodés, ont assimilé le poison et l'ont stocké dans leurs glandes salivaires !
Le capitaine et Farrell tentent une sortie, pour découvrir que le marin a servi d'en-cas aux assiégeants. Ils reviennent en catastrophe et Farrell, jaloux de l'idylle ébauchée entre le capitaine et la belle Ann, tente de laisser son rival au dehors, en vain. L'autre scientifique périt lui aussi victime des crocs empoisonnés, alors que les musaraignes forent à qui mieux mieux des trous dans les murs et pénètrent dans la baraque.
Les quatre rescapés se retranchent derrière la barricade, où le capitaine a une idée de génie : renverser quatre gros bidons qui traînaient là, faire des trous dedans au chalumeau pour permettre la vue et les lier ensemble. Farrell, pris d'un coup de folie, préfère se réfugier sur le toit et finira sous la dent des musaraignes une fois redescendu. Les trois autres, protégés par leur tank improvisé, parviennent tant bien que mal à franchir l'enceinte et à gagner la plage, harcelés par trois-quatre musaraignes (on est loin des centaines annoncées). Là, ils se mettent à l'eau - les musaraignes, paraît-il, ne savent pas nager, et gagnent le bateau à la nage (dommage, s'ils avaient assiégés dans l'eau, on aurait pu taxer cela de "bain de siège"). Tout se termine par un baiser entre la belle et le héros.
Comme je le disais, le bousin est outrageusement fauché : ce dénuement éclate à chaque plan, dans les décors, les maquillages ou même la longueur du métrage (à peine plus d'une heure). A telle enseigne que les deux producteurs - à savoir l'acteur fordien Ken Curtis et le magnat de la radio McLendon - font partie de la maigre distribution. Toutefois, à part le déguisement des "musaraignes", particulièrement atroce, cette absence de budget renforce la vraisemblance du récit et lui donne un petit aspect documentaire pris sur le vif.
Ce qu'il perd visuellement, "Killer Shrews" le gagne en atmosphère : le suspense est fort bien mené, et les quelques plans montrant les rongeurs en train de percer les murs à l'abri des regards des protagonistes fonctionnent très bien. Il faut dire, les histoires de sièges (enfin, ceux qui ne se gagnent pas dans un fauteuil, mais qui conduisent quelquefois au Père la Chaise) ont toujours scotché les cinéphiles à leur écran, qu'il s'agissent de westerns ("Quand les tambours s'arrêteront" d'Hugo Fregonese), de polar ("Assaut" de Carpenter) ou d'horreur (la trilogie zombiesque de Romero). Le tout est de distiller le frisson à petites touches, en jouant sur le décalage entre la vision du spectateur et celle des personnages, et d'instaurer une ambiance oppressante, ce que réussit à faire - légèrement - ce film.
Autre atout, la crédibilité apportée aux réactions des personnages : ici, pas de grandes envolées héroïques, d'idées géniales, de final cataclysmique dans lequel les monstres explosent tous en choeur. Les héros, paniqués, n'ont qu'une pensée : sauver leur peau, et non pas faire un carton au péril de leur vie, comme on en voit tant dans les séries B, au détriment de la simple logique. Pour y parvenir, ils sont amenés à choisir une solution peut-être peu élégante, mais bien pratique : le tank-bidon, dans lequel ils avancent à croupetons, tirant dans la tête des musaraignes qui veulent passer le museau dessous.
Le scénariste, toutefois, aurait pu se passer de quelques lignes de dialogue oiseuses et passablement grotesques, que l'on retrouve en grande partie dans la bouche de la belle Ingrid Goude - il fallait bien qu'elle ait quelque chose à dire, n'étant pas spécialement une comédienne, elle l'ancienne Miss Suède et Miss Univers. Ses collègues se tirent plutôt bien de leurs rôles, tant James Best (futur shérif ridicule à la télévision) en héros plausible que Baruch Lumet (père du réalisateur Sidney et grand nom du théâtre yiddish) en savant dépassé par sa découverte. Ken Curtis (westerner qui avait commencé en tant que cow-boy chantant, puis était devenu second rôle pour son beau-père John Ford, avant de connaître une petite consécration en vieux grincheux dans la série télévisée "Matt Dillon") manque par contre un peu de subtilité pour interpréter le personnage le plus complexe, un ivrogne jaloux, vicieux et lâche.
Encore une preuve que, malgré un budget inexistant et des effets spéciaux ridicules, on peut tout de même mitonner une petite série B sympathique...