L'Odyssée du Cosmos
Genre : space-opérette guignolesque
Revue : Patrick Marcel
Qu'est-ce qu'un nanar? Un film au scénario indigent, joué par des bûches, et pour un résultat risible? Ne cherchez plus, j'ai trouvé!
Canal+ vient de passer "L'odyssée du Cosmos", titre pompeux de l'adaptation au cinéma de la série de marionnettes de Gerry et Sylvia Anderson, "Thunderbirds". J'hésite à parler de "film", tant celui-ci pourrait aisément se réduire à une soirée diapositives particulièrement poussive, orchestrée par un fan de trains miniatures ayant disjoncté après surdose d'amphètes.
Aucun délire idiot ne nous est épargné: les palmiers se couchent pour laisser passer les fusées au décollage, les poupées sont menées en canapé jusqu'au cockpit, les Rolls roses sont munies d'hydrofoil. Lady Pénélope reçoit les communications urgentes sur sa théière, ce qui doit être bien pratique quand elle ne prend pas le thé.
La logique shadok la plus rigoureuse est à l'oeuvre tout du long: jamais nos héros n'optent pour une solution simple, quand une plus compliquée peut faire l'affaire. Ainsi la fusée vers Mars est-elle formée d'éléments épars qui viennent s'assembler sur le pas de tir, en terminant par le nez qui vient coiffer la cabine de pilotage, bouchant toute visibilité; il se détachera plus tard, flanquant une bonne giclée de réacteurs dans le pare-brise! Le tout à une vitesse qui ferait passer la scène de découverte du nouvel Enterprise dans "Star Trek - le film" pour une scène d'action filmée par Michael Bay! Robert Bresson et Marguerite Duras pourraient prendre des leçons de statisme de ce film qui se veut perversement un film d'action!
Les mouvements de caméra - si l'on peut employer ce terme optimiste - se réduisent à des panoramiques amorphes sur des maquettes d'engins à l'aérodynamisme improbable, ou à des plans fixes sur des assemblées encore plus fixes de poupées arthritiques qui dodelinent de la tête comme des chiens sur la plage arrière d'une voiture arrêtée. Tous ces sémillants personnages s'habillent suivant la collection d'été de G.I. Joe, révisée par un Adolf Hitler faisant une fixette sur les teintes pastel.
Mais passons au scénario, ça ne devrait pas prendre longtemps.
Le prototype de la fusée Zero-X pour Mars se prépare à sa mission. Hélas, au bout d'une demi-heure d'assemblage à l'écran, l'engin est saboté par une ignoble poupée grimaçante et s'écrase de façon spectaculaire. Flûte! Quel fâcheux contretemps! Remarquez, ça va nous permettre de revoir l'assemblage! Chic! Six mois plus tard, re-belote, mais cette fois, nos héros, les Thunderbirds, sont là. La sécurité est toujours aussi naze, l'espion grimaçant est encore à bord, mais il est découvert un peu plus tôt, et la fusée part enfin pour Mars.
Pendant son voyage, le plus jeune Thunderbird rêve qu'il sort en boîte avec Lady Pénélope, une poupée Barbie avec un accent aristocratique grotesque, dans une séquence onirique molassonne où des poupées à l'effigie de Cliff Richards et des Shadows se lancent dans une musique endiablée (le rythme les gagnant, ils commencent même à bouger les bras!!) sur des images folles (une guitare géante décolle d'un pas de tir de fusée - délire!). L'enthousiasme fait bouger des mains à Lady Pénélope et à son invité, tandis que le reste du restaurant reste tétanisé par l'admiration.
Signalons en passant qu'il y a deux "femmes" dans ce film: Tin Tin, espèce de carpette pleine de sagesse orientale, semble être la soubrette de papa Thunderbird; Lady Penelope concentre sur elle les fantasmes sages des fils Thunderbird. Cette figuration féminine assure sans doute qu'aucun doute n'entache les moeurs de ces hommes virils qui s'habillent en majorettes dans des fusées vert gazon.
Après tant d'émotions, le Zéro-X arrive sur Mars. Les pilotes trouvent de curieuses crottes fossilisées qui s'avèrent être des serpents de pierre martiens. Peu enclines à se laisser ramasser, les sales bêtes ripostent en tirant des feux d'artifices. La fusée repart aussitôt. Que d'émotions! Les pilotes en dodelinent de la tête sur leur siège (qu'ils n'ont apparemment pas quitté depuis six semaines).
Six semaines plus tard, on revient sur Terre et la manoeuvre pourtant si simple et rationnelle de l'arrimage à la carlingue principale de deux fusées *pendant* la rentrée dans l'atmosphère (logique shadok, vous dis-je) foire totalement (étonnant!). La trajectoire de l'engin le conduit droit sur une petite ville! Le drame va-t-il frapper?
Heureusement, les Thunderbirds sont là et, grâce à des conseils puissants et judicieux ("Essayez de maintenir l'altitude le plus longtemps possible" - où vont-ils chercher ces idées?), ils sauvent les pilotes tandis que l'engin se vautre voluptueusement sur la ville évacuée, qui s'était sans doute déplacée pour se trouver toujours au point d'impact, malgré les changements de trajectoire...
Pour terminer cette collection figée de fantasmes érotiques pour obsédés de matériel militaire revisité principauté de Monaco et Alcazar, nous avons droit à l'interprétation par l'orchestre des Royal Marines du thème musical des Thunderbirds. L'émotion nous étreint.
Bilan final: un film trépidant comme une nécropole, illustré par des vues comateuses et des trémoussements épars de fumées et de feux d'artifices, avec une atypique poursuite en voiture assez nerveuse: dans "Thunderbirds", ce sont les objets qui ont une âme, les poupées sont là pour meubler.
Il paraît qu'il y a des fans.