Dracula vs Frankenstein (1971)
Genre : mélange de monstres horrifico-nanardeux
It's a real monster mash when they clash!
- Scénario : William Pugsley et Samuel M. Sherman
- Réalisateur : Al Adamson
- Avec : J. Carrol Naish, Lon Chaney Jr, Anthony Eishey, Regina Carrol, Greydon Clark et d'autres malheureux
Revue : Michel Pagel
DRACULA VS FRANKENSTEIN a.k.a. Dracula Prisonnier de Frankenstein Al Adamson, 1969-71
Putain : deux ans ! Al Adamson, le Ed Wood des années 70, et c’est méchant pour Ed Wood, a mis deux ans à réaliser avec trois trucs et quatre machins ce pur joyau de crétinerie. Le parralèle entre Wood et Adamson n’est pas innocent. Tout comme Wood a supervisé la dégringolade de la carrière de Bela Lugosi, Adamson a présidé à celle de Lon Chaney Jr. Rongé par le cancer et, à voir son visage bouffi, par l’alcool, le vieux loup-garou donne ici sa dernière performance : le rôle (muet) du serviteur du Baron Frankenstein (curieusement nommé Groton, pas Igor) qui assassine à qui mieux mieux et à la hache sur les ordres de son maître, en poussant des borborygmes et en souriant comme un débile mental. Le voir ainsi se dépétrer dans une production indigne de lui est bien la seule chose qui ne soit pas drôle dans ce film — tout comme il fait un peu mal de voir Lugosi dans Plan 9.
Je vous résume l’action : le dernier descendant des Frankenstein, cloué dans un fauteuil roulant (parce que l’acteur, J. Carrol Naish, autre star du fantastique sur le retour, l’était), tente désespérément de fabriquer un sérum dont l’utilité n’est pas très nette, tout en faisant décapiter de charmantes jeunes femmes par son serviteur, afin d’avoir le plaisir de les ramener à la vie — ce qui est une occupation comme une autre. Pour couvrir ses activités coupables, il dirige également une sorte de musée des horreurs au bord d’une plage californienne. Son aboyeur est l’inévitable nain méchant et sarcastique qui se ramasse un coup de hache à la fin pour satisfaire les instincts cruels du public. L’héroïne du film (Regina Carroll, blonde aux gros seins mariée au metteur en scène, je n’invente rien) est une artiste de music hall au numéro de laquelle le début du film nous donne le plaisir d’assister — passage déconseillé aux amateurs de comédies musicales hollywoodiennes ayant le cœur fragile. Elle se fait sans doute virer après la représentation, car immédiatement, elle plaque tout pour partir à la recherche de sa sœur, laquelle a disparu après s’être jointe à une bande de hippies drogués, mêlés à une affaire de traite des blanches. En fait, bien sûr, elle a juste été décapitée par Groton avant d’être ranimée par Frankenstein, qui la conserve comme sujet d’étude. Notre héroïne décide de mener sa propre enquête et fait vite la connaissance de plusieurs des hippies mentionnés plus haut : on sait que ce sont des hippies parce que la fille est en minijupe et que l’un des garçons a les cheveux longs, ainsi qu’un pantalon à pattes d’éléphant bicolore. L’autre garçon a les cheveux courts et il est habillé comme vous ou moi, mais il a un collier de coquillages autour du cou. C’est un hippie. C’est bien sûr pour ce dernier que la belle se pâme.
Là dessus, enter Count Dracula himself ! Quoique… Est-ce bien lui ? Cette espèce de grande asperge famélique, pourvue d’un bouc ridicule et d’une absence de charisme (sans parler de talent) digne d’un chanteur de rap de troisième zone, ce serait Dracula ? Ben oui, c’est marqué dans le titre. Jamais, et je dis bien jamais, le pauvre comte n’a été plus maltraité à l’écran. Même Gary Oldman dans le Coppola ou Howard Vernon dans La Fille de Dracula, de Jess Franco n’arrivent pas à la cheville de Zandor Vorkov (un pseudo, à votre avis ?). Outre son physique consternant, le susnommé possède en tout et pour tout deux expressions : regarder dans le vague et prendre l’air méchant, ce qu’il effectue en montrant les dents et en plissant ses yeux largement cerclés de noir. En outre, j’ignore ce qu’il en est dans la version originale, mais en français, on lui a collé une voix métallique pleine de reverb, qui donne envie de baisser à fond les aigus de la télé. En ce qui concerne le doublage, il est aussi à signaler que le Dr. Frankenstein, pourtant censé être genevois, s’est vu affubler d’un accent teuton du meilleur effet. Bravo, les mecs. Dracula, donc, puisqu’il faut bien l’appeler ainsi — et d’ailleurs, il a la cape noire doublée de rouge —, vient trouver le bon docteur pour lui annoncer qu’ils vont travailler ensemble. Ah bon, répond Frankenstein, qui n’en a visiblement plus rien à foutre de rien. Un peu plus tard, on apprendra que le sérum du médecin aurait le pouvoir de rendre Dracula vraiment invincible, mais il n’est jamais précisé comment au juste. Histoire de parvenir à leurs fins et de corser un peu le scénario, les deux hommes commencent par ressusciter le premier monstre de Frankenstein, celui de Victor. Le monstre en question est un type normal, quoiqu’assez grand, revêtu d’un masque en caoutchouc qui le fait un peu ressembler à un boxeur amateur après un combat contre Tyson, le sang en moins. Immédiatement, il se lance à la poursuite des trois médecins qui ont fait rayer de l’ordre le descendant de son créateur et ont ri des découvertes d’icelui. Il a le temps d’en tuer un (interprété par Forrest J. Ackerman ; oui, oui, LE Forrest J. Ackerman). Adamson a dû manquer de pellicule, car il n’est plus jamais question des deux autres.
Je passe sur les détails de l’enquête de nos héros. Disons seulement que, ficelle classique oblige, ils finissent par être capturés par les méchants. Après une lutte homérique (pardon, Homère !), le nain et le docteur sont tués, et le hippie aux cheveux courts est atomisé par les rayons qui jaillissent de la bague de Dracula (si, si : c’est un très joli effet spécial, qui a dû être réalisé en rayant la pellicule, ou quelque chose comme ça). Le comte enlève à nouveau l’héroïne, la ramène en son antre et s’apprête à lui pomper un peu de sang frais quand le monstre de Frankenstein, séduit par les charmes opulents de la belle, se retourne contre lui. Au lieu de se changer en chauve-souris ou en brume, comme le ferait n’importe quel vampire sensé, Dracula s’enfuit à pieds dans la forêt (!), où le monstre ne tarde bien sûr pas à le rejoindre. On s’aperçoit alors qu’il n’avait pas de raison de s’enfuir, puisqu’il n’a aucun mal à arracher les bras puis la tête de la créature. Et c’est là que se situe la grande trouvaille du film : dans sa fureur, le comte a oublié de regarder sa montre et il est surpris par… j’attends. Par ? Par le lever du soleil, oui, gagné. Après avoir été mort-vivant pendant des siècles, se faire avoir comme ça, avouez que c’est rageant. Bref, il se décompose, ce qui fait que tous les personnages principaux sont morts, à part l’héroïne. Peut-on considérer qu’il s’agit d’un happy end ? Si on songe que je n’ai pas parlé de la photographie, le plus souvent crépusculaire (euphémisme signifiant qu’on ne voit strictement rien), d’une mise en scène auquel le mot « brouillonne » ne rendrait pas justice, et d’un pitoyable et méconnaissable Russ Tamblyn, dans un de ses derniers rôles de méchant motard, on admettra que ce film, sorti en vidéo en France sous le titre Dracula à la Recherche de Frankenstein, mais épuisé depuis longtemps, est un authentique chef d’œuvre du septième art, qu’il faut voir pour en apprécier toute la splendeur. Je signale cependant aux voyeurs éventuels, au sens cochon du terme, qu’ils en seraient pour leurs frais, la chose étant d’une chasteté exemplaire, surtout compte tenu de son sujet et de l’époque à laquelle elle a été tournée. On n’y voit qu’un bout de sein, vers la fin, et sans doute par erreur.