La Couette de l'Oubli

Voici quelques extraits du roman, pour les curieux. Note importante : aucun détail important de l'histoire n'est dévoilé. Ha ha, bien fait pour vous.


Extrait 1 - Prologue

Extrait des " Chroniques des Aventuriers Célèbres en Terre de Fangh ", par Glibzergh Moudubras.

[…] En l'année 1498 du Calendrier de Waldorg, on raconte l'émergence d'une compagnie sans véritable nom, qui fit parler d'elle à la suite d'une quantité impressionnante de faits d'armes particulièrement audacieux. Chipia l'Érudite les décrivit comme " de redoutables bretteurs aussi habiles qu'imprévisibles ", alors que l'ensorceleuse Nak'hua Thorp en parlait dans son journal comme d'un " ramassis d'incapables particulièrement doués pour la fuite et les erreurs de jugement ". Le chroniqueur Siegmund Krönfeld quant à lui refusa d'y consacrer le moindre article. Il est donc difficile d'y voir clair, et c'est ainsi que leur légende a perduré, vacillant comme la flamme entre le mépris, le doute et la vénération.

Sortis de nulle part, ils apparurent au deuxième jour de la Décade des Moissons Tardives, à la porte du Donjon de Naheulbeuk. Un rôdeur, une elfe, un barbare, un nain, un ogre, une magicienne et un voleur, qui bravèrent en un temps record les dangers multiples de cet établissement donjonnique renommé dont personne n'était jamais sorti, semble-t-il. Après avoir déjoué de nombreux pièges, ils s'emparèrent d'une collection de statuettes prophétiques à la suite d'une bataille contre le redoutable maître des lieux, le tout-puissant Zangdar. Puis, ils furent ensuite signalés à Valtordu, dans le village de Chnafon, et dans plusieurs bourgades de petite taille. Plusieurs témoins affirmèrent qu'ils " avaient coutume de semer la panique et le désordre ". On leur attribue la disparition du comte Archein von Drekkenov, aussi connu comme le Vampire Hémophile, et le suicide incompréhensible du célèbre Song-Fu, sage centenaire qui avait pourtant dédié sa vie à l'assistance aux aventuriers. Ils auraient également défait les redoutables Hommes-Poireaux, les sauvages Mangeurs de Chair humaine de la forêt de Schlipak, le Chemin de l'Oubli, le terrible bandit Tarken et ses compagnons, ainsi que la fameuse énigme de Lorelenilia de Nilnerolinor, reine des Elfes Lunelbar. Certains racontent qu'ils auraient bravé le château de Gzor, mais sans en apporter la preuve. Cette dernière anecdote tient probablement du canular.

Et ainsi donc, sur une période courte d'une dizaine de jours, la compagnie " sans nom ", jusqu'alors inconnue et insoupçonnée, se fabriqua cette solide légende teintée de mystère. Ils firent parler d'eux à travers une bonne partie du territoire. Il était difficile de savoir quel était leur but, quelles étaient leurs aspirations, et qui serait à même de les arrêter. C'était en tout cas ce qu'on pensait jusqu'à ce jour, dans une taverne renommée de Boulgourville, où démarra la sinistre affaire de la " Couette de l'Oubli ", dont on parle encore dans les manuels d'histoire de Fangh. […]


Extrait 2 - Petit Déjeuner

La magotte trempait sa tartine en faisant le ménage dans sa tête. Autour de la table, c'était encore assez calme pour pouvoir se concentrer. Et puis, chacun surveillait son bol et ses morceaux de pain, sauf l'Elfe qui mangeait des céréales bonnes pour le transit, et l'Ogre n'aimait pas ça. La Magicienne n'avait pas trop le sens de l'organisation, mais c'était toujours mieux que le reste du groupe. C'est d'ailleurs pour cela qu'elle avait eu des problèmes pour mener à bien ses études à l'université de sorcellerie de Glargh. Dotée d'un certain charisme, elle dissimulait sa chevelure rousse sous un chapeau à large bord, et portait avec fierté la Robe ensorcelée de l'Archimage Tholsadum, sauf quand il faisait trop chaud. Un accident magique survenu pendant ses études lui avait altéré définitivement la voix, c'est donc avec son habituel timbre éraillé qu'elle lâcha finalement :
- Je pensais que c'était une ville plus calme.
- Mouais, confirma le Ranger qui n'était pas bien éveillé.
- Y'a de la marave quand on dort, c'est nul ! soliloqua le chevelu guerrier.
Son vocabulaire n'était pas très étendu, mais il connaissait tous les synonymes du mot bagarre.
- Vous avez fouillé les cadavres ? s'enquit le Nain auprès du gargotier, lequel astiquait un plateau. C'était qui ces gens ?
- Les gardes les ont emmenés, maugréa le patron. C'était des gars des sectes, qu'ils ont dit. De la grande ville. Z'ont rien à fiche par ici, si vous voulez mon avis ! Surtout si c'est pour met' du raisiné partout sur mon auberge. C'est quand même incroyable de venir faire tout ce ch'min pour se battre sous mon enseigne. C'est plus comme avant, c'te ville, avant c'était tranquille, et puis on pouvait se lever à sept heures du matin sans nettoyer l'sang des bourgeois des sectes, et puis c'est encore pareil pour tous les marchands qu'ont les poches pleines d'or et qui viennent là boire un verre d'eau alors qu'ils ont les moyens de s'prend' une bière, sans compter qu'juste après ils vont piquer l'client avec leurs fariboles de produits bizarres, et puis n'importe comment, nous on a une bonne petite ville, et les autres bla bla bla bla bla…

Les aventuriers durent attendre une éternité que l'homme décharge sa bile. C'était le genre de gars discret qui n'attend qu'une occasion d'accoucher de son baratin, à la manière de ces vieux perclus de maladies qui en délivrent la liste dans un insoutenable flot de paroles, pour peu qu'on commette l'erreur de leur demander " alors, ça va ? ".
D'un accord tacite, les aventuriers décidèrent de ne plus lui adresser la parole.
- C'est bizarre, des gens qui viennent ici pour se battre, commenta l'Elfe.
- Il faut croire qu'ils avaient quelque chose à faire dans la région, compléta l'érudite.
- Chouakiqhichomp, chaichur, renchérit le Ranger en mastiquant un énorme bout de pain.
L'Ogre regardait pensivement les saucissons pendre près du comptoir. Dans son langage simple, il se dit " c'est beau, un saucisson qui pend ".
Le Nain quitta sa chaise et signala :
- Je vais quand même voir s'ils ont pas laissé deux ou trois bricoles traîner.
Puis il se dandina vers la sortie, précédé de son haleine matinale.

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BULLETIN CÉRÉBRAL DU RANGER

J'ai expliqué au groupe qu'il était possible de retrouver la trace de quelqu'un, en démarrant l'enquête à l'endroit où il a été vu pour la dernière fois. L'avantage d'être le chef, c'est que je peux facilement faire passer mes idées. J'ai bien joué sur ce coup-là. Alors, comme la tour de Gontran n'est pas trop loin, nous allons nous rendre sur les lieux et tenter de rattraper les voleurs de la onzième statuette, en utilisant mes compétences de pisteur. Le nabot et la brute pensent qu'on devrait mettre le feu au donjon de Gontran et balancer tous ses machins prophétiques dans les latrines, mais le vieux fonctionnaire nous a conseillé d'éviter l'intérieur de la tour, parce que nous n'avons pas le niveau pour affronter tous ses dangers. Tout cela peut nous rapporter pas mal d'expérience, j'espère juste qu'on ne se précipite pas vers les ennuis.

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BULLETIN CÉRÉBRAL DE L'ELFE

J'ai proposé à tout le monde d'aller voir près du château du magicien Théogal, et ils ont accepté ! On pourra interroger les petits animaux qui vivent près du château et savoir dans quelle direction sont partis les voleurs de statuette. Ensuite, je vais suivre leurs traces dans la nature, parce qu'il ne faut pas compter sur l'humain, celui avec sa cape grise. Il n'y connaît rien. Le crétin barbu semble vouloir nous suivre. C'est quand même sympa de repartir avec le groupe, même si le Barbare est bête, et l'Ogre sent très mauvais. On va sans doute gagner un autre niveau, et je vais encore mieux tirer à l'arc !

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BULLETIN CÉRÉBRAL DE LA MAGICIENNE

Après avoir soumis à mes compagnons plusieurs théories, ils ont fini par rejoindre mon point de vue : nous devons nous rendre à la tour de Gontran, qui se trouve à une journée de marche d'ici. La tour se nomme Arghalion, je trouve ça pas mal, c'est un nom qui en jette. Nous devrions pouvoir retrouver des indices pour suivre le groupe d'aventuriers qui a subtilisé la onzième statuette. Enfin, c'est la douzième maintenant. J'espère qu'on sera bientôt assez forts pour pénétrer dans le donjon du mage, et démolir ses plans. Et puis, c'est sans doute plein d'objets magiques. Mais par contre, je n'arrive pas à comprendre pourquoi ce vieil homme nous confie cette mission, au lieu de choisir des gens plus expérimentés.


Extrait 3 - Le nom de la compagnie

Le temps se couvrait, et l'air était assez frais. La décade des moissons tardives allait sous peu permettre à la nature de s'hydrater par le biais de douches quotidiennes, et aux vendeurs de capes huilées de relancer leur activité.

Le Ranger marchait en tête du groupe. Ce n'était pas vraiment par habitude, mais comme on était près d'un village, il supposait qu'il n'y avait aucun danger, et qu'il n'était donc pas nécessaire de placer le Barbare et le Nain en avant-garde. Précéder les autres quand c'était possible le confortait dans sa position de chef de l'escouade.
Il renvoyait l'image d'un humain de taille moyenne, brun, et dont les yeux de couleur indéfinissable possédaient un éclat proche de celui de l'acier. Une épée courte battait fièrement son flanc, assez souvent d'ailleurs puisqu'il ne la sortait du fourreau qu'en de rares occasions. Des vêtements de couleur sombre, dans les tons vert-brun-gris, et un sac à dos usé de baroudeur lui permettaient de prétendre à la profession de ranger, ou rôdeur, ces aventuriers mystérieux qui savent se fondre dans la nature et qui ont parcouru le monde en quête de gloire. Le morceau de papier gras coincé sous sa semelle gauche, et qui le suivait à chaque pas depuis la sortie de la ville, compromettait quelque peu son apparence.
Il manifesta soudain ses pensées, se retournant vers les autres :
- La Compagnie des Fiers à Bras !
- Hein ? firent-ils plus ou moins, en évitant de lui rentrer dedans.
- Notre nom, ça devrait être La Compagnie des Fiers à Bras ! insista-t-il.
- Pourquoi les fiers à bras ? voulut savoir l'Elfe.
- C'est faisandé, protesta le Nain. Et pourquoi pas les fiers à repasser ?
Il rit un moment de sa blague, qui laissa les autres de marbre puisqu'en général on ne l'écoutait pas.
- Personnellement, j'utilise plutôt ma tête, révéla la Magicienne. Je ne me reconnais pas vraiment dans cette appellation.
La représentante du beau peuple suivait ses propres réflexions, et voulait en savoir plus :
- En quoi nos bras sont-ils fiers ? Ça ne veut rien dire.
- C'est une expression, exposa le Ranger. C'est pour dire qu'on est fiers et que heu…
- Et qu'on a des bras, compléta le courtaud dans un ricanement.
Un regard d'acier le fusilla, sans lui causer outre mesure de problème de conscience.
- Mais tout le monde a des bras, non ?
Le Ranger était agacé à présent, et soupira :
- Oui, mais c'est une EXPRESSION.
- En plus, je ne suis pas fière, murmura l'Elfe.
Ils marchèrent un moment dans le silence. L'Ogre chantait une ritournelle de son pays, dans laquelle il était question d'égorger des gens, mais ce n'était pas gênant puisqu'il chantait dans son propre langage.
- Les Fiers de Hache ! hurla soudain le Nain en levant son arme de prédilection. Ha ha !
Mais personne n'avait compris, il recommença :
- Les Fiers de Hache ! Déjà c'est marrant, parce que ça fait un jeu de mots, et en plus c'est la classe parce que les haches, c'est pas comme les bras, y'en a pas chez tout le monde !
- Ouais, soupira le Ranger. D'ailleurs, moi j'en ai pas.
- Moi non plus.
- Ni moi.
- Et moi, j'ai un arc !
- Alors, finalement, y'a que toi qui a une hache, conclut la Magicienne.
Le Ranger en profita pour se venger :
- Et donc, c'est nase.
- Ha… maugréa le Nain en examinant sa hache, qui était pourtant brillante et fort bien aiguisée.
Il manquait à l'Elfe une information :
- Et puis c'est quoi, un jeu de mots ?
- Bouarf, lui répondit-on.


Extrait 4 - La hache de jet

Le Nain demeurait immobile, les yeux rivés sur son acquisition qu'il manipulait avec respect. La hache de jet semblait effectivement de belle facture, mais elle était usée, un peu rouillée et émoussée. La marque avait quasiment disparu du fer. Le rôdeur regardait par-dessus son épaule, et le Barbare les avait rejoints, parce qu'il était toujours intéressé par les armes. Un mercenaire qui traînait dans la rue s'approcha, suivi par un voleur bi-classé spadassin.

- J'ai fait une affaire, expliqua le barbu. Même en occasion, ça vaut deux cent pièces d'or au moins ! Et quatre cent si c'est neuf !
- Ouah.
- Le forgeron n'y connaît rien, c'est évident !
- Fais voir ?
- Hey je peux la prendre dis ?
- Trop fort la poignée en cuir.
- Regarde le bout pointu là.
- Le fer possède une courbure parfaite !
- C'est super bien équilibré.
- Ici ça se dévisse pour mettre une pierre à affûter.
- Dommage, c'est pas une épée.
- Avec ma nouvelle compétence d'entretien des armes, conclut le Nain, je vais pouvoir la remettre en état !
Les demoiselles attendaient avec impatience que se terminent ces analyses puériles. La Magicienne bougonna :
- On pourra peut-être chercher un endroit où dormir, quand vous aurez fini ?
- C'est n'importe quoi, compléta la blonde. Tout ça pour une hache ridicule !
Le courtaud fit quelques pas pour brandir sous son nez l'objet de la discussion :
- Tu sais ce que c'est ? C'est une hache de jet, mémé ! Ça veut dire que tu ne seras plus la seule à utiliser une arme à distance ! Et toc !
L'Elfe pinça les lèvres et lui tourna le dos en marmonnant quelque chose d'incompréhensible. Le Ranger fut soudain moins enthousiaste :
- Heu… Tu comptes vraiment la lancer ?
- Bah ouais, certifia le barbu, les yeux brillants. C'est fait pour ça !
Les armes à distance n'avaient pas bonne réputation dans la compagnie. Pour le moment, l'arc de l'Elfe avait posé autant de problèmes qu'il n'en avait résolu, et on prenait garde de bien se trouver derrière à chaque utilisation.
- Est-ce que tu as la compétence pour les armes de jet ? s'enquit la Magicienne.
- Pas la peine ! assura triomphalement le Nain. Une arme Durandil donne un bonus non magique de +2 ! Et puis j'ai ça dans le sang.
- J'ai l'impression qu'on va l'avoir dans le sang nous aussi, prédit le rôdeur.
- Il faut t'entraîner, préconisa le Barbare.
La visite de la ville reprit son cours, mais il fallait sans cesse attendre le Nain qui voulait essayer sa nouvelle arme sur n'importe quoi. Ayant abîmé plusieurs volets et deux portes de maison, il essaya les cibles mobiles. Il manqua deux fois un chien, fit fuir une poule et parvint à blesser un porcelet évadé de son enclos, sous les regards amusés d'une troupe de maraudeurs vêtus de pourpre et d'orange.
- T'es vraiment nul, constata l'Elfe.
- T'es pas meilleure que moi, poufiasse. En plus ton arc magique, il sert à rien !
- Mais quand j'aurai mon niveau six, tu vas voir !
- C'est pas demain la veille, ha ha ha.
- Mon arc, il vaut six mille pièces d'or !
- Va mourir !
- Il faut se tirer maintenant, trancha la Magicienne. On va finir par blesser des gens d'une autre compagnie.
Cette perspective fit frémir le pseudo-chef du groupe, qui ramena sa capuche sur son visage et lança un regard courroucé au barbu des montagnes. Les nombreux aventuriers qui parcouraient la ville avaient fière allure, et auraient sans doute été fort désobligés de recevoir une hache dans le dos. Certains d'entre eux exposaient avec arrogance de magnifiques lances, ou de gigantesques haches de bataille. D'autres, montés sur leurs destriers, jetaient à la ronde des regards nobles et orgueilleux. Des débutants de niveau deux ne pouvaient se mesurer à eux.


Extrait 5 - Rêve de Nain

BULLETIN CÉRÉBRAL DU NAIN

Je dormais. Et puis j'ai fait un rêve bizarre. Au début c'était bien, j'étais dans une grande caverne, assis à table, et on mangeait du rôti. J'avais une armure dorée et un super marteau de guerre magique posé sur la table. Je crois que j'étais un peu le roi ou le chef du clan, ou un truc comme ça. On m'apportait de la bière sur un plateau ! Il y avait plein de Nains que je ne connaissais pas. Et puis des paysans humains sont arrivés, assis sur des cochons géants, et ils ont cassé le mur alors que c'est pas possible en vrai. Ils criaient qu'on n'avait pas le droit de manger du rôti, alors qu'on était dans la mine, donc on pouvait le faire parce que c'est chez nous. Je n'ai pas compris. Tout de suite j'ai envoyé ma hache de jet pour tuer un paysan, mais elle a disparu en faisant cot-cot au lieu de se planter. Les cochons géants ont parlé aussi, et ils ont dit que j'allais être puni à cause de ma grand-mère. Ils ont mangé tous mes amis, et des bulles colorées sortaient de leurs oreilles. Les paysans dessinaient des chaussettes sur les murs. J'ai couru pour m'échapper dans un couloir mou et vert, là je n'avais plus mon armure mais seulement mon pyjama, le vieux marron qui a les manches trouées et que j'avais piqué à mon frère Trugun. C'était il y a longtemps. Et j'avais des chaussures en grosses tomates, alors je ne pouvais pas avancer, parce que ça glisse. Les cochons géants me rattrapaient en criant flibidi et ils avaient des yeux comme l'Elfe et ils tiraient des flèches qui partaient dans toutes les directions. Ensuite on était dans la forêt, mon frère Trugun est arrivé, il était géant et il voulait récupérer son pyjama. Il disait que j'avais mis de la tomate partout. J'ai dit que c'était pas ma faute. J'ai voulu sauter par-dessus la rivière mais à chaque fois je tombais dedans alors je sautais encore et je retombais encore. Trugun s'est envolé sur un chariot de mine qui avait des roues en tomates. Les arbres avaient des bouches, j'ai voulu crier pour qu'ils partent, mais ça faisait seulement flibidi. J'ai retrouvé ma hache de jet, mais les cochons étaient partis et les arbres aussi, et j'ai glissé dans un tonneau géant qui était plein de flèches cassées. Et là, je me suis réveillé.


Extrait 6 - Infiltration

Le groupe délibéra, à l'abri d'un gros buisson. Il convenait de trouver une solution pour pénétrer dans le village et proposer des services de mercenaires à l'un des bateliers marchands. Ils virent que trois barges de transport étaient attachées aux pontons dans le virage de la rivière, ce qui leur donnait une chance de trouver un convoyeur intéressé. La Magicienne proposa d'aller voir aux pontons sans passer par le village, et d'attendre le passage des marchands. Mais le Ranger jugea que c'était trop risqué, car un soldat pouvait les voir. Le Nain de son côté voulait attaquer les gardes avec sa hache de jet, et prendre la fille du gouverneur en otage pour les obliger à coopérer. On lui expliqua que le gouverneur de la ville n'avait peut-être pas de fille, ce qui obligeait à reconsidérer l'intégralité du plan. Pendant qu'il échafaudait autre chose, ils étaient tranquilles. L'Elfe suggéra d'utiliser un oiseau de la forêt. Elle pourrait lui parler, et lui demander d'entrer dans le village et d'aller demander à l'un des marchands de le suivre. Le plan comportait malheureusement quelques points obscurs, comme par exemple la possibilité que le marchand ne comprenne pas le langage des oiseaux, ou l'absence de forêt. Le chevelu des steppes, après tout cela, prétendit que la seule solution serait d'allumer un nouvel incendie dans le côté intact du village, pour entrer par surprise pendant que les gardes éteignaient le feu. Mais cela ne semblait pas satisfaisant. L'Ogre s'endormit au pied d'un arbre.

Considérant les conseils prodigués par le vieux Tulgar, le Rôdeur ne se fâcha point, et usa de ses neurones. Il parvint à la conclusion suivante, à son grand étonnement :
- L'un de nous doit se déguiser en villageois, et entrer dans le patelin pour y chercher un marchand. Pendant ce temps, les autres restent ici, en attendant qu'il revienne avec des nouvelles.
Il était habituel de discuter les idées du pseudo-chef de groupe au sein de la compagnie, mais cette fois nul ne trouva d'arguments en défaveur des instructions susmentionnées. Ils étaient sous le coup de la surprise.
- C'est carrément pas mal, commenta l'érudite.
- Mouais, marmotta le Nain qui n'aimait jamais les plans des autres.
Il fallut ensuite régler la question essentielle du volontaire. Le Nain, l'Elfe et l'Ogre ne pouvaient pas passer pour des paysans. La Magicienne n'avait d'autres vêtements que ses robes de sorcier, et on ne faisait pas trop confiance au Barbare, étant donné qu'il risquait de mener la discussion à coups de pied de chaise. De plus, il passait difficilement pour autre chose qu'un guerrier demeuré.
- Le choix est vite fait, conclut la Magicienne en s'adressant au rôdeur. C'est toi qui t'y colles !
L'intéressé pinça les lèvres. Il n'avait pas prévu cette éventualité.
- En plus, ricana le Nain, chez toi y'a pas grand-chose à changer pour que tu ressembles à un cul-terreux.
Il accusa un coup de pied en grognant.
- Et puis on va pouvoir te déguiser, gazouilla l'Elfe. C'est super !
Ils se mirent à l'ouvrage, période d'inaction mise à profit par le courtaud pour manger un bonbon Chiantos et balancer ses quolibets sous le nez du Ranger énervé. De son côté, le chevelu décida de s'entraîner à combattre avec ses deux épées, en prenant pour cible un vieux noisetier défraîchi.

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BULLETIN CÉRÉBRAL DE L'ELFE

Nous avons fait du déguisement ! Le Ranger avait besoin d'un costume de paysan, alors nous l'avons complètement transformé ! Il a laissé toutes ses affaires pour partir au village avec quelques pièces d'argent dans ses poches. Vu qu'il n'a pas d'armes, on ne peut pas lui laisser trop d'or sur lui, car il risque de se faire attaquer, avec la tête qu'il a. Nous l'avons tout dépeigné et je lui ai maquillé la figure avec de la terre. Il porte une chemise et un pantalon salis avec de la poussière, et il a enlevé ses bottes aussi, parce que ça ne faisait pas du tout paysan. La magicienne a mis du fumier dans ses poches pour qu'il sente un peu comme les vrais paysans. Il faisait une drôle de tête.

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BULLETIN CÉRÉBRAL DU RANGER

Me voilà parti dans cette mission d'infiltration ! C'est mon rôle de responsable qui commence à être reconnu. J'ai l'air d'un crétin avec ces fringues de bouseux, mais tant pis, comme ça je suis vraiment différent et personne ne saura que je suis un aventurier. Ce n'est pas trop grave si on a l'air bête une fois dans l'année, surtout si c'est pour la bonne cause de la quête. Le Nain s'est pris une claque parce que j'en avais marre qu'il se paie ma fiole, c'est déjà pas facile de se maquiller comme ça. Je me vengerai, si on passe à côté d'une fosse à purin. Le truc agaçant, c'est de marcher pieds nus, c'est assez désagréable, surtout quand on a de la bouse qui passe entre les orteils. Je viens de passer le pont, j'approche du village, et je vois que notre grange est toujours là. Bon, voilà des paysans, on va voir si ça marche !


Extrait 7 - Codie et l'Elfe

L'Elfe suivit Codie jusque dans sa cabine, en gloussant. C'était un petit espace ménagé sous l'impressionnant poste principal, on y accédait par un escalier de bois plutôt raide. Une odeur de vieille huile flottait dans la coursive, démontrant qu'on n'était sans doute pas loin d'un espace aménagé pour faire la cuisine.
La jeune fille avait décoré sa chambre minuscule avec de vieux cordages accrochés au mur. On ne trouvait à part ça qu'un lit, une étagère avec ses piles de vêtements bien rangés, une petite tablette avec un miroir de métal battu, et une boîte en osier.
- Alors c'est là ta maison ? gazouilla l'Elfe.
- Oui ! J'ai de la chance j'ai tout cet espace rien que pour moi !
L'archère considéra l'espace en question, qui était plus petit que le placard à jupes qu'elle avait laissé dans la grande maison sylvestre de ses parents, avec sa chambre qui permettait facilement de loger cinquante jeunes filles. Elle comprit qu'il y avait une différence culturelle et qu'il n'était pas très gentil d'en parler. Elle désigna donc le mur :
- Ce serait plus joli avec une ouverture non ?
Codie approuva, et lui expliqua qu'on ne pouvait pas faire de trou pour voir dehors, sinon l'eau rentrait dans le bateau. Puis elle ouvrit la boîte en osier :
- Tiens, tu voulais voir mon nécessaire de coiffure…
L'Elfe examina les peignes et brosses, mais ceux-ci n'étaient pour elle que des rogatons de bas étage, sans style et sans marque. Elle exprima son étonnement :
- Mais comment peux-tu avoir de si beaux cheveux, en utilisant ce genre de matériel d'entretien ? C'est la misère !
Codie fit la moue, puis referma la boîte :
- Ce n'est pas le matériel qui compte, c'est la façon de s'en servir.
Elles contemplèrent encore quelques secondes la cabine, pendant que la jeune fille cherchait visiblement un sujet de conversation. Elle prit son courage à deux mains :
- Dis-moi… Tu as… Comment dire… Quel genre de relation avec le chef du groupe ?
L'Elfe considéra la question avec une partie de son cerveau qui n'avait sans doute jamais servi. Elle déclara finalement :
- Je ne sais pas… Déjà, c'est pas vraiment le chef. Il est assez gentil avec moi certains jours, et puis d'autres fois, il me crie dessus. Il est souvent énervé à cause des autres. Mais c'est mon copain quand même !
- C'est ton copain ?
- Oui, oui, on peut dire que c'est mon copain.
Le visage de Codie s'était fermé. Néanmoins, quelque chose dans l'expression de l'Elfe lui conseillait de pousser son investigation :
- Et heu… Vous dormez ensemble ?
Il y eut une période de flottement.
- On l'a fait au début, mais on a décidé d'arrêter à cause de mon histoire de culotte.
- Ha.
- Il disait qu'il avait froid, mais je ne crois pas qu'il disait la vérité.
La jouvencelle faisait des efforts pour suivre. Mais la blonde était lancée :
- Et puis il m'a raconté des choses incompréhensibles avec la décolleuse d'un certain Biramir, et un trombone.
- Ha.
- En plus, l'Ogre voulait dormir avec nous aussi !
- L'Ogre ?
- Mais il sent mauvais ! Et on n'avait pas la place. Après j'aurais préféré dormir avec le Ménestrel, parce qu'il était gentil et qu'il aimait bien les elfes. Mais il est mort à cause de sa guitare, alors j'ai acheté une couverture. Comme ça c'était plus facile.
- Ha.
- Sinon moi je veux bien dormir avec tout le monde, c'est plus sympa. Enfin sauf le Nain… Et l'Ogre bien sûr.
- Hein ?
- Et le Barbare, il devrait changer ses bottes. Enfin de toute façon, c'est pas possible parce que ça fait toujours des problèmes.
- Ça fait des problèmes avec ton copain ?
- Mais non, parce que c'est tous mes copains ! On doit tout partager dans ce groupe, c'est la règle.
Codie se tenait à l'étagère pour ne pas tomber. Elle ne soupçonnait pas qu'il se passait ce genre de chose dans les compagnies d'aventuriers.
L'Elfe examina une fois de plus sa cabine, et ajouta :
- De toute façon, tu ne peux pas dormir avec plusieurs personnes dans ta maison, c'est trop petit !
Comme la jeune fille ouvrait la bouche pour répondre, Birlak apparut en haut de l'escalier, et leur adressa un sourire :
- Mon poussin, lança-t-il à sa descendance, tu veux bien t'occuper du déjeuner ?


Extrait 8 - Baston et magie

Les flibustiers d'eau douce n'avaient sans doute pas vu beaucoup de sorciers dans leur vie, car ils ne se méfièrent à aucun moment de cette petite bonne femme à tignasse rousse, en robe étrange et chapeau pointu. Ils virent qu'elle agitait son bidule, et ricanèrent. Ils comprirent qu'elle disait quelque chose, et ricanèrent de plus belle. Ils se gaussèrent également quand son chapeau s'envola. Ensuite, ils constatèrent que quelque chose de mouvant venait d'apparaître dans l'air, un genre de lumière. Et la lumière fonça vers eux.

Le chef de la bande, qui se trouvait sur la trajectoire directe de ladite lumière, se jeta sur le côté, car c'était un homme d'action doté de bons réflexes. Lorsqu'il fut à mi-chemin entre la barque et la rivière, il lui vint à l'esprit qu'il nageait très mal et qu'il avait une chance d'y rester.
L'esquif ainsi que son équipage reçurent de plein fouet la boule de feu majeure avec bonus contre les capes magiques, sort de niveau deux, troisième arcane de magie, catégorie pyrotechnie, ordre des incantations malsaines, sous-ordre des sorts ignites à dommages restreints. Leurs vêtements, leurs cheveux et une partie du vernis de la barque s'embrasèrent immédiatement, causant à la fois une grande panique et une cacophonie de braillements.
La Magicienne leva son poing vengeur vers le ciel :
- Yaaaahh !
Dans les victimes de l'Ogre, on comptait déjà quatre dents cassées ainsi que huit doigts brisés, une oreille traumatisée, deux hommes au bouillon et un autre qui était prostré au fond de l'embarcation, une flèche dans la jambe. Il était temps de sonner la retraite.
Le chef des bandits avait avalé trois litres d'eau, dont une bonne partie par le nez. Il barbota un moment et parvint à s'accrocher à une branche basse en toussant comme un vide-ordures. Tout en reprenant son souffle, il jaugea la situation d'un rapide coup d'œil, et tout en crachant de l'eau cria en direction des aventuriers :
- Burglgululés !

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BULLETIN CÉRÉBRAL DU RANGER

Tiens, j'ai entendu des cris ! À voir comment ça braille, je suppose que la magotte a réussi son machin avec la boule de feu. Du côté de l'Ogre on dirait que la situation se stabilise aussi, ça gueule moins. Le Nain commence à émerger, il n'était pas mort finalement. Mais c'est bizarre. Il a un pris un carreau d'arbalète à l'arrière de l'épaule, alors que… bon, normalement il aurait dû la prendre de face. Et puis il a l'air d'avoir reçu un sacré coup sur la tête ! Qui a bien pu lui infliger ça ? Il va encore gueuler parce que son casque est abîmé. Allez, encore deux ou trois gifles, je vais lui filer un coup de gnôle, et j'y vais ! Je dois m'assurer que la situation est sous contrôle. Ah, et puis surtout, quand on aura gagné, il faudra dire à l'Elfe qu'elle se rhabille aussi. C'est dommage, mais c'est comme ça.